Il se dit qu’à Paris vit un monstre qui emporte parfois les âmes seules
dans son logis du fond des eaux. Paris, moderne et cosmopolite, garde
encore en son sein le reste de ses multiples panthéons, exaltés par des
générations d’artistes et par les mystiques qui, aujourd’hui encore,
jouent avec l’obscurité. Nul ne s’effraie de la voracité de son fleuve
pour ces cœurs qu’il attrape et retient dans son gouffre ondoyant, nul
ne remarque sa silhouette aux aguets, femme qui marche, femme qui
console et qui mange ; elle passe inaperçue le jour, la nuit, entre les
quais et les badauds. La
Seine, son eau glauque, sa vase millénaire, savent
accueillir les âmes tristes avec la tendresse qui leur faisait défaut.
Elle tend ses bras aux désespérés qui la contemplent rêveusement, elle
illumine de ses reflets les vestiges des siècles qu’elle a parcourus, la nonchalante guivre aux écailles de jade…
L’atmosphère parisienne est lourde des ténèbres humaines, et entre les anneaux de la Seine nichent encore la clameur du tocsin et le rugissement du massacre. Elle charrie lentement la fange et la malédiction, alanguie du poids des ombres, mais son appétit enfle toujours : elle cherche ceux qui l’exalteront malgré ses passions macabres, ceux dont les vers brûlants agiteront un peu ses tièdes profondeurs… Oh, mon amie ! Tes miroitements ont altéré mon œil, et si je pleure, ce sont tes larmes qui coulent. Mon existence est liée à ton cours comme le chêne à la terre, et si je m’éloigne trop longtemps, je me sens faner. Par toi j’aime cette ville maudite, je m’en enivre comme d’un vin capiteux, gras et entêtant, et je vous chanterai tel le rossignol contre le clair rosier ; je vous offrirai mon sang et ma plume, et si une nuit je croise l'ombre de ta vipère, je la saluerai comme on salue les princes.
Et pourtant… aperçois-tu seulement mon âme frêle, à travers tes flots impérissables… ?
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Photographie : Vincent Bernard
Mon beau tailleur que j’aime follement : Olga Valeska
Il se voyait bien photographier une scène de film noir, elle se voyait bien porter enfin ce tailleur qui traînait dans son placard depuis des mois, bref, il en faut peu, parfois, pour donner vie à un rêve. Le mien (vieux tout de même de plusieurs années) consistait en de belles images sur les quais de Seine, parce que Paris m’a mordue et contaminée, que cette ville fait aujourd’hui partie de moi et que je me verrais mal la quitter trop longtemps.
Je suis vraiment enthousiaste devant le résultat ; c’est agréable d’avoir des ambiances aquatiques différentes de celles de la jeune fille dans son lac en forêt, surtout pour quelque chose de si élégant, et je crois que la dernière photo de ce billet va rester longtemps au panthéon des images que je préfère (et non pas parce que je suis dessus, je vous vois venir, les mauvaises langues du fond).
(Du saxophone et des paroles sur une sirène, voilà ma synthèse musicale pour ces deux univers.)
La pesanteur d’un thriller convient en effet bien à la lourdeur de cette ville, qui est juste “too much”. Quant à l’eau, outre qu’elle sied bien à la réputation de ville pluvieuse de Paris — usurpée bien sûr, le ciel tout blanc est ici le grand gagnant météorologique — elle contribue à fabriquer la fange qui distinguera Paris l’ancienne des buildings américains bien carrés et de leurs lofts modernes, cadre premier des film noir. Bel hommage à cette ville, donc…
RépondreSupprimerToujours cette rancœur contre les ciels tout blancs, je pense toujours à toi quand les nuages recouvrent la ville et aplanissent la lumière.
SupprimerMerci pour ton commentaire, qui fait plaisir à la modèle et au photographe (je crois).
Sur le rossignol et la rose: "Un banni caché (Le motif du rossignol de Boccaccio à Gezelle)" (dans M.J.G. De Jong, Le Présent du passé: Essais de littérature comparée)
RépondreSupprimerhttps://books.google.fr/books?id=RnqM8nnoaYAC&dq=Le+Pr%C3%A9sent+du+pass%C3%A9:+Essais+de+litt%C3%A9rature+compar%C3%A9e++M.J.G.+De+Jong&hl=fr&source=gbs_navlinks_s