[Retour, inattendu il y a quelques mois seulement, du journal de bord de mon séjour au Japon ; je l’organiserai différemment cette fois-ci pour éviter les doublons avec les articles de l’an passé, et privilégierai plutôt les comptes-rendus en fonction des lieux visités que des dates, quitte à me permettre quelques brisures temporelles de temps à autre.
Voilà, c’était l’introduction fascinante du moment.]
Alors que cela faisait deux jours que je foulais pour ma seconde fois la terre tokyoïte, il était déjà temps de repartir pour un peu de grimpette. J’avais réservé une place dans un groupe pour gravir le mont Fuji voilà quelques semaines ; je ne suis pas friande des voyages organisés, mais en bonne montagnarde novice la présence d'un guide me paraissait plutôt rassurante. S’y prendre à l'avance semble indispensable car les places sont chères et l’on n’a pas toujours le choix de la date. Une randonnée de plus de 15 heures à peine remise de mes 13 heures de vol, idée fantastique, mais au diable mes appréhensions ! Je suis jeune et en bonne santé, à ce qu’on m’a dit.
Réveillée dès cinq heures du matin afin de finir de préparer mon sac, je sentais l’excitation et l’appréhension monter lentement le long de ma gorge. Le point de rendez-vous se trouvait à Shinjuku une couple d’heures plus tard, et pour une fois je ne suis pas arrivée en retard…
Le trajet durait suffisamment longtemps pour prendre un peu de repos, malgré monsieur le coordinateur de randonnée (je ne sais toujours pas en quoi ce rôle consiste, en fait) qui passait son temps à nous raconter micro à la main mille et une choses fascinantes, comme quelques considérations sur la taille de sa boisson Starbuck à la fraise (idéale pour se rafraîchir, apparemment. Merci monsieur le coordinateur). Notre groupe eut quartier libre pour acheter souvenirs et nourriture avant la randonnée ; pour ma part je me suis précipitée sur un bâton de pèlerin en bois sur lequel on pouvait apposer un timbre pyrogravé à chaque étape moyennant quelques centaines de yens. Je me suis ruinée là-dedans, mais il me les fallait tous, évidemment. Mon côté dresseuse de Pokemon qui ressort, j’imagine.
(J’ai également croisé un nid d’hirondelle, avec un oisillon qui sortait son petit bec pour réclamer de la nourriture…)
L’ascension se déroule en plusieurs parties. Notre car nous conduisit jusqu’à la cinquième étape, qui se trouve à un peu plus de 2300 mètres. De là, nous en avions pour 5 ou 6 heures de marche avant l’étape intermédiaire, où nous attendaient un repas chaud et un sac de couchage pour dormir un peu (vers 2900 mètres d’altitude). Ensuite, nouveau départ à 22 h 30, pour encore 5 ou 6 heures de marche avant le sommet et le cratère (plus de 3700 mètres), puis la descente (et 4 heures de marche pour celle-ci).
C’est avec le sourire que tout commença, malgré la brume qui empêchait de bien apprécier le paysage environnant. Pour autant, se sentir grimper au milieu des nuages a également beaucoup de charme. L’univers est blanc ou gris, et l’on ne voit plus ni le ciel ni la terre, juste le chemin à suivre. Un monde ascétique, donc.
Au fur et à mesure que l’on avance, on sent l’air se refroidir un peu et le vent devenir de plus en plus puissant, mais rien de bien insoutenable avant notre halte de mi-parcours. Cette fraîcheur est même bienvenue après la moiteur tokyoïte. Notre traducteur, Take, nous avait prévenus qu’il serait sans doute impossible de faire le tour du cratère une fois arrivés au sommet à cause de la neige ; nous parler de neige en plein mois de juillet à Tôkyô ! Quel est donc ce concept improbable que celui de neige dans le Japon estival ?
Quoi qu’il en soit, c’est avec bonheur que l’on voit le gîte se rapprocher, et les pyrogravures s’amasser sur le bâton de pèlerin. Vers 17 heures, j’ai enfin pu avaler mon premier vrai repas de la journée ; rarement omelette m’aura paru si savoureuse. Et sac de couchage si confortable.
L’ambiance dans le groupe était plutôt bonne. On entendait toutes sortes de langues et d’accents, de l’allemand, de l’espagnol, du québécois, de l’anglais (évidemment, nouvelle langue universelle), quelque chose qui ressemblait à du serbe, du suédois (je crois…), du chinois…J’ai bêtement joué les fangirls sur deux jeunes gens qui se sont rapprochés pendant notre parcours, et qui étaient absolument adorables ensemble. Je les imaginais déjà se souvenir de leur première rencontre plusieurs décennies plus tard, tu te souviens, au mont Fuji… des étoiles de leur amour naissant au fond des prunelles (oui, achevez-moi s’il vous plaît).
Bon, et sortie de groupe oblige, j’ai aussi eu droit aux gros ronfleurs dans le dortoir. Mais qu’importe.
Notre seconde sortie a été le moment favori de ma randonnée. Le ciel nuageux oscillait entre plusieurs nuances de noir profond et de gris sombre qui s’entremêlaient en de subtiles volutes d’encre à la lumière de nos lampes-torches, comme un négatif de cette peinture chinoise que j’aime tant.
Je ne faisais même plus attention à mon corps et aux efforts que je faisais pour grimper tant j’étais absorbée par ce paysage ou plutôt par cette absence de paysage, le direct opposé de ce coucher de soleil flamboyant de Bretagne durant lequel je m’étais baignée au mois de juin ; une autre sorte d’océan composé de nuages et de néant.
Par moments je pensais au Purgatoire de Dante, j’imaginais cette montagne comme celle que gravissent les pécheurs dans l’espoir de leur rédemption, où les fragiles lueurs que transportent les hommes en quête du fameux lever de soleil se confondent avec celles, plus éthérées, des âmes repenties en quête d’éternité. Le silence dans lequel nous étions plongés, parfois troublé par les morsures erratiques des bourrasques de haute altitude, invitait à rentrer en soi, et si le vent asséchait mes larmes avant qu’elles ne roulent le long de mes cils, mon cœur, lui, battait au rythme d’un délicieux sanglot.
En revanche, la dernière partie de la montée fut terrible. Je vacillais sur mes jambes à cause du vent glacial que quatre couches de vêtements ne parvenaient pas à freiner. L’effort, la fatigue, la légère peur du vide, tout me paraissait insupportable, mais, mais…
(J’ai également croisé un nid d’hirondelle, avec un oisillon qui sortait son petit bec pour réclamer de la nourriture…)
La bête. |
C’est avec le sourire que tout commença, malgré la brume qui empêchait de bien apprécier le paysage environnant. Pour autant, se sentir grimper au milieu des nuages a également beaucoup de charme. L’univers est blanc ou gris, et l’on ne voit plus ni le ciel ni la terre, juste le chemin à suivre. Un monde ascétique, donc.
Au fur et à mesure que l’on avance, on sent l’air se refroidir un peu et le vent devenir de plus en plus puissant, mais rien de bien insoutenable avant notre halte de mi-parcours. Cette fraîcheur est même bienvenue après la moiteur tokyoïte. Notre traducteur, Take, nous avait prévenus qu’il serait sans doute impossible de faire le tour du cratère une fois arrivés au sommet à cause de la neige ; nous parler de neige en plein mois de juillet à Tôkyô ! Quel est donc ce concept improbable que celui de neige dans le Japon estival ?
Allons allons, fainéants. |
Quoi qu’il en soit, c’est avec bonheur que l’on voit le gîte se rapprocher, et les pyrogravures s’amasser sur le bâton de pèlerin. Vers 17 heures, j’ai enfin pu avaler mon premier vrai repas de la journée ; rarement omelette m’aura paru si savoureuse. Et sac de couchage si confortable.
L’ambiance dans le groupe était plutôt bonne. On entendait toutes sortes de langues et d’accents, de l’allemand, de l’espagnol, du québécois, de l’anglais (évidemment, nouvelle langue universelle), quelque chose qui ressemblait à du serbe, du suédois (je crois…), du chinois…J’ai bêtement joué les fangirls sur deux jeunes gens qui se sont rapprochés pendant notre parcours, et qui étaient absolument adorables ensemble. Je les imaginais déjà se souvenir de leur première rencontre plusieurs décennies plus tard, tu te souviens, au mont Fuji… des étoiles de leur amour naissant au fond des prunelles (oui, achevez-moi s’il vous plaît).
Bon, et sortie de groupe oblige, j’ai aussi eu droit aux gros ronfleurs dans le dortoir. Mais qu’importe.
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Omelette du fromage. Et ma soupe miso a des yeux. |
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Yu Jian, Village dans la brume. |
Par moments je pensais au Purgatoire de Dante, j’imaginais cette montagne comme celle que gravissent les pécheurs dans l’espoir de leur rédemption, où les fragiles lueurs que transportent les hommes en quête du fameux lever de soleil se confondent avec celles, plus éthérées, des âmes repenties en quête d’éternité. Le silence dans lequel nous étions plongés, parfois troublé par les morsures erratiques des bourrasques de haute altitude, invitait à rentrer en soi, et si le vent asséchait mes larmes avant qu’elles ne roulent le long de mes cils, mon cœur, lui, battait au rythme d’un délicieux sanglot.
En revanche, la dernière partie de la montée fut terrible. Je vacillais sur mes jambes à cause du vent glacial que quatre couches de vêtements ne parvenaient pas à freiner. L’effort, la fatigue, la légère peur du vide, tout me paraissait insupportable, mais, mais…
…difficile de dire que ce bref désespoir n’en valait pas la peine. Je passerai donc sous silence l’agonie de la descente pour ne pas gâcher la magie de ces quelques photos-souvenirs.
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Je me suis même acheté un fuji-pudding pour fêter ça. |
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Et parce que même à 3000 mètres d’altitude, ton bâton de pèlerin peut être kawaii. |