vendredi 21 octobre 2016

CCCXXXIII ~ Antique Athènes

Encore des souvenirs de voyage pour le billet du triple trois. 

Bienvenue au Pirée.
Une nuit à traverser la mer de Crète, se retenant de faire la grimace aux scouts de l’autre côté de la fenêtre… Et nous voilà arrivés au Pirée. Fatigués, évidemment, après une nuit licencieuse (passée à bouquiner, en réalité), migraineux, mais l’idée d’être à Athènes, enfin, après des années de rêverie… !
La ville est plutôt laide, masse de béton embrumée de gaz d’échappements, et surtout on y ressent bien plus les effets de la crise grecque qu’en Crète. Impossible de passer à côté de la mendicité, presque aussi omniprésente qu’à Paris. Mais les points de vue, eux, sont différents… 

Sortir d’un parc : des ruines.
Sortir d’un restaurant : des ruines et des chats.
Le flou, la nuit…
… l’Acropole. Ces vues prises du Lycabette, l’une des collines d’Athènes, laissaient présager de belles visites, après une première journée consacrée essentiellement à la promenade. Et le lendemain, dès les coups de neuf heures pour échapper aux touristes, nous grimpions le long de la légende.

Résumé du séjour : des ruines.
Le théâtre de Dionysos.
L’Acropole, donc, ne se résume pas au Parthénon : c’est tout un réseau de petits temples, de théâtres, où le citoyen se rendait pour le culte, la politique ou le divertissement (les trois se rejoignant souvent). Architecture grecque et romaine s’y mêlent, en revanche plus rien des fortifications médiévales qui surplombèrent la ville voici mille ans ; il fallait faire un choix dans la richesse historique d’Athènes. Conserver ou déblayer, telle est la question.
Plus l’on se rapprochait du Parthénon, plus la foule devenait dense. Et dire que le mois d’août, en Grèce, n’est même pas la haute saison ! La visite ce jour-là fut cocasse pour beaucoup d’entre nous : des bourrasques terribles balayaient la ville, et se ressentaient vivement à son sommet. Des chapeaux, des casquettes volaient un peu partout, et ce fut pour l’œil aguerri un festival de petites culottes. Qu’importe, le monde saura grâce au vent que je possède des dessous mimosa, moi j’ai vu l’Érechthéion.

Oh, mon amour.
Les fameuses cariatides.
Même si les conditions d’une visite réelle ne sont jamais aussi idylliques qu’en rêve, déambuler entre les massives colonnes dédiées à Athéna fut émouvant. Je repensais à l’enfant de dix ans qui mangeait son goûter devant des reportages sur les archéologues qui travaillaient là où je posais le pied. Je pensais que des générations de Grecs avaient il y a plus de 2000 ans accompli le même trajet que moi. Le genre d’idées tourbillonnantes sur le temps qui passe et le destin des hommes. Mais les larmes ne coulèrent pas ici – pas encore.



Autre présence émouvante : l’olivier sacré d’Athéna. Celui-ci a un peu plus de cent ans.
Autres heures, autres promenades : l’agora romaine, le temple d’Héphaïstos, la bibliothèque d’Hadrien, tant à faire et à voir que l’on en a le tournis. Le deuxième pic d’émotion de ce voyage fut tout de même la colline de la Pnyx, entourée de la colline des Nymphes et de celles des muses, qui fut – en toute simplicité – le siège de l’Ecclesia. Ô démocratie ! Ici logerait ton berceau. Ici ont parlé Périclès, Socrate, Démosthène. Fichtre !

Vue de la Pnyx sur l’Acropole et le Lycabette.
La Triforce (???)
Une maison à la grecque, surprenante au cœur d’Athènes.
Des tombes au cimetière archéologique du Keramikos.
 
On ne découvre pas toute la Grèce en dix jours. J’aurais voulu voir aussi Rhodes, Olympie, les ruines de Sparte, Éleusis. Évidemment. Mais avant de partir, j’aurai fait un crochet par Delphes. Et surtout, j’aurai vu le Parnasse. C’est amusant, j’avais imaginé être au faîte de l’émotion devant l’antique trépied, mais alors que l’autocar qui nous y emmenait serpentait entre les montagnes, l’une d’entre elles, au sommet caché par les nuages, retint mon attention. 
« Je la connais, me dis-je.
— This is the Parnassus mountain. » me répondit en écho (j’y ai cru) notre guide. 
Le Parnasse ! La montagne des Muses ! Érato, Melpomène, Uranie et les autres ; je secouai le bras du Poète, mais il dormait. Alors je me perdis loin, loin dans mes pensées, et je pleurai sans même m’en rendre compte. 
Je l’avoue : c’était ce que j’attendais de la Grèce. Le sentiment de retrouver un joyau perdu loin dans la psyché. L’histoire, les ruines, tout ceci n’est que prétexte, au fond. Que cherche-t-on dans le paysage sinon soi-même ? Le sentiment, décuplé par le déracinement, de faire partie de ce tout sublime, de s’infuser en lui autant qu’il s’infuse en nous ?
Du coup, je me trouvais dans un état second avant même d’arriver à Delphes. J’ai suivi la visite guidée d’une oreille un peu distraite.


Un chien pratique la sieste canine juste à côté du nombril du monde (eh bien bravo !).

Les ruines du village de Delphes.
Le trépied. *émotion*
Le temple d’Apollon.
Le site de Delphes est fabuleux car il réunit à la fois la montagne, la plaine et la mer…
Pause chat.
Un bout du Parnasse.
La visite fut vraiment centrée sur le rôle politique de Delphes, et se révéla passionnante, bien que très terre-à-terre. Pour la poésie, autant se réfugier dans les livres.

D’ailleurs, si cela vous intéresse, voici la liste de lecture de ma décade grecque :
~ Les Grecs et la mer de Jean-Nicolas Corvisier aux éditions des Belles Lettres
~ Les Jardins d’Adonis de Marcel Detienne dans la Bibliothèque des histoires ainsi qu’en Folio
~ Les Oracles de Delphes aux éditions de La Différence
~ Les Lamelles d’or orphiques aux Belles Lettres (plutôt technique, je vous déconseille de commencer par celui-ci si vous ne connaissez pas déjà un peu le sujet des mystères et que vous ne lisez pas le grec ancien).
J’essaie d’adapter ce que je lis à mes voyages…


Sur ce, je clos le chapitre de l’errance (non sans espérer qu’il reviendra bientôt).

vendredi 7 octobre 2016

CCCXXXII ~ Ελευθερία ή θάνατος : la Crète

Chez Jean Lorrain, l’automne apporte le spleen, chez moi, c’est la colère. D’année en année octobre et novembre sont le théâtre de crises de rage plus ou moins intérieures, toujours pour les mêmes raisons : la fatuité, l’ignorance, la paresse, etc. etc. – mes pauvres lecteurs, vous commencez à connaître la chanson. Avant de bouillir tout à fait (il me reste encore deux mois pour ça), je me disais que ce serait une bonne idée de replonger un tout petit peu dans les souvenirs de vacances, d’une journée en particulier et de quelques autres fragments de cette fin du mois d’août où j’ai pu entrevoir un pays dont l’appel résonnait dans ma chair depuis des années : la Grèce.

Comme tous les gamins (je pense ?) je me suis surtout prise d’amour pour son histoire antique, un cliché parmi tant d’autres : aller en Grèce, c’est un peu comme aller visiter sa vieille maison. Et rien de tel, justement, que le voyage pour dépoussiérer un peu ces amours romanesques si loin de la réalité. Et puis la Crète, par où tout ceci a commencé, la Crète n’est pas réductible à la Grèce…

Je passerai sur les conditions du voyage, sur les premiers jours dans une station balnéaire sans grand intérêt (la côte nord de la Crète, sans moyen de locomotion, c’est juste l’ennui le plus total), sinon les baignades au coucher du soleil, à la tombée de la nuit, au clair de lune, à minuit pile sous les étoiles, bref…

Les fleurs aussi, c’est important les fleurs.
Je rongeais mon frein entre la jeunesse britannique en plein coma éthylique et les maisons de retraite qui envoyaient leurs pensionnaires prendre un dernier bain, me retrouvai moi-même un peu éméchée à un banquet de mariage en compagnie de Russes qui voulurent me faire profiter de leur hospitalité proverbiale (environ douze toasts et tout autant de verres de vin blanc cuvés sur la piste de danse, sans compter, bien sûr, le champagne et les liqueurs), j’ai pas mal lu aussi, bref, je me suis retrouvée comme dans la peau d’une jeune fille de bonne famille qui attend que quelque chose arrive sans trop savoir quoi.

Évidemment, c’était le paysage.

Devinez-vous la Lune qui tardait à se coucher ?

Je ne suis pas très compliquée à cerner ; j’attendais, avec une patience toute relative, la journée où il me serait enfin permis de parcourir du nord au sud cette île où l’on passe du sable brûlant à la fraîcheur des cimes en une quinzaine de kilomètres, où Rhéa cacha Zeus enfant de son époux carnassier (…), où l’on passe, enfin ! du songe au regard.


Pour moi qui connais très peu la montagne, ce genre d’environnement est un perpétuel ravissement, au sens premier du terme : je suis enlevée de moi-même. De là, peut-être, mon amour pour Perséphone, déesse ravie s’il en est, mais enfin.

La première étape, après avoir traversé de tous petits villages sur le plateau du Lassithi, fut pour les ruines de Lato, laissées aussi intactes que peuvent l’être des ruines grâce à l’absence de touristes (sauf russes ; le Russe est à la Crète ce que le Chinois est au Japon, et l’on trouvait même dans les tous petits villages perdus des panonceaux en russe…). Ruines grecques, celles-ci, et non minoennes comme celles qui font la célébrité de la côte nord de l’île.

Au fond, c’est la mer…
Chaque pierre est accessible, à tort ou à raison, et l’on peut gambader sans restriction dans l’agora, les temples, les magasins – en tout cas, dans ce qu’il en reste.

Vieux cailloux.
Vous aussi, cherchez l’intrus.
Juste à côté des ruines, nous avons visité l’église de Panagia Kera, l’une des églises les plus visitées, et pour cause : ses fresques des XIIIe et XIVe siècles sont dans un état de conservation remarquable. 

Les fresques byzantines doivent faire partie des plus belles choses au monde.
Et puis, retour dans les routes tortueuses jusqu’au sud de l’île, la mer de Lybie…

Une église.
Elle.
Les journées passent vite… mais il me reste quelques fragments. Comme les ruines de Malia, ruines minoennes moins connues de celles de Knossos, mais préservées du zèle archéologique de certains… Sans doute était-il plus compliqué de se représenter certains détails sans les errements de la modernité, mais flûte, à quoi servirait l’imagination, sinon ?

Bonjour, je suis une jarre et j’ai 4 000 ans.

Et, dans le musée archéologique de Héraklion, ultime étape avant le bateau pour Athènes…

Des abeilles millénaires…
…et le couple infernal Perséphone/Isis - Hadès/Sérapis.
Je ne suis généralement pas touchée par la sculpture romaine. Généralement.

Je ne me leurre pas : l’homme est aussi désagréable ailleurs qu’ici. Le sans-gêne du touriste est proverbial (mais, Dieu merci, pas une fatalité). Or je suis une Emma Bovary du voyage, comme m’a si bien surnommée mon Poète, et alors le souvenir des endroits que j’ai visités, l’espoir d’en découvrir d’autres se parent d’une pureté qui dissipe un peu le dégoût. Je me force à me penser constamment en vadrouille, même dans la vie quotidienne, mais le leurre ne prend pas toujours.

Je crois que c’est Spectaculaire second empire, au musée d’Orsay, qui me laisse dans cet état. L’exposition est très bien, vraiment. C’est l’époque que je fustige. Je ne suis pas tellement hégélienne, ou positiviste, je ne crois pas au progrès, et cette génération de bourgeois arrivistes, persuadés d’être arrivés au pinacle sans voir leur propre fange, me met hors de moi. Mais, et c’est ce qui m’empêche de sombrer complètement dans le désespoir, sans elle, pas vraiment de Hugo, de Baudelaire, d’Art nouveau… Ce que j’aime est né en partie en réaction à l’ère de Napoléon le Petit. Sa fatuité, sa vulgaire ostentation ont été le creuset d’un soubresaut artistique formidable, grâce à lui ou à ses dépends. Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec le début du XXIe siècle. Alors, je cesse de ronger mon frein, je soupire un bon coup, et j’avance, comme tout le monde.

lundi 3 octobre 2016

CCCXXXI ~ Celle qui s’en va.

« Sur les ciels verdissants d’automne, ces ciels de turquoise malade*, striés de jaune et de pourpre, qui sentent déjà le froid, le vent et l’hiver, sa fine silhouette de voyageuse évoque des regrets d’intérieur, de tendres exils à deux dans des climats plus chauds, parmi les orangers de quelque invraisemblable Bordhighere, loin de Paris, de ses boues et de ses rumeurs factices, de ses succès surfaits, de ses scandales d’un jour ! Oh ! Les rêves de sweet home et de sweet heart qu’éveillent dans notre âme ses yeux changeants, comme la mer sous la pluie, ses yeux gris et verts, limpides entre leurs longs cils noirs.
Et, en effet, qu’elle soit brune ou rousse, qu’elle ait la nuque duvetée et savoureuses des blondes, où du soleil semble s’être pris aux fils ténus d’un réseau d’or, ou qu’elle soit casquée d’ombre et de nuit par de lisses bandeaux noirs, celle qui s’en va a toujours ses inoubliables yeux couleur de vague sous l’orage, des yeux qui semblent avoir pris aux embruns, aux horizons de mer et aux grèves lointaines, leur profondeur et leur grisaille fugitive, cette nuance de perle illusoire, attirante, la nuance même de l’infini. »

Jean Lorrain, « Celle qui s’en va » in Âmes d’automne.

* Cette image est la perfection même.
Transparent White Star