mercredi 24 avril 2013

LXXXIX

Les lumières sont éteintes, tu regardes les lueurs du couchant. L'été de tes quinze ans ne sera bientôt qu'un doux souvenir ; je ne connais que trop bien cette torpeur qui est la tienne alors que tu rêvasses devant la petite cour où tu jouais, avant. Indécise, entre deux ères, tu possèdes encore cette candeur enfantine sans n'être qu'une coquille passive qui dédaigne voir ses premiers âges s'éteindre dans le souffle des ans.
Je me souviens de ces pensées emplies d'espoir et de chaleur, si puissantes, si ardentes, que leur course atteignait parfois les astres. Le soleil que tu admires est plus grand que celui que subissent les flots mugissants de la race humaine. Tu es choisie, pas encore élue, mais le miroir de ta sensation déforme si bien la réalité que tu parviendrais presque à en magnifier les harmonies.
Lorsque tu t'examines dans le miroir, tu ne reconnais plus ta chevelure, rousse du sang d'Hélios, et l'émeraude de tes yeux humides brille étrangement lorsque tu comprends que cette beauté n'est pas la tienne, sinon celle des mystères qui parsèment les mesures des symphonies. Créature qui ne vit que pour devenir le lien entre les nébuleuses et l'homme, ton reflet change en fonction de ton talent, et crois-moi, jamais il ne fut si parfait ! Tu bouillonnes… Ecume primitive, origine de tout, ton cerveau subtil est au sommet de son art ; il transcende cette carcasse fragile dans laquelle il s'emmure. Ta vie même est l'image de ce que tu dois être, les difficultés n'arriveront qu'après, lorsque tu ne pourras plus saisir ce pour quoi tu as été faite, lorsque la noirceur du monde, impitoyable, aura mordu dans ta chair diaphane.
Fragment d'un passé révolu et regretté, je fonde mes rêveries sur les tiennes. Je fus et aimerais devenir, ainsi je dépose mes stigmates sur l'autel de ton mythe, priant pour que tu renaisses en moi. Mais malgré l'adoration que je te porte, tu ne décides pas de l'ordre des choses, et des divinités par trop supérieures nous éloignent l'une de l'autre. Alors j'essaie de forcer le passage des ans, de retourner vivre ce crépuscule ; ma main serre la tienne et la désolation de l'avenir trouble ton regard. Alors tu prends conscience de la fugacité de ta grâce, la terrible majesté du temps qui te domine envahit ton âme sereine et, prise de panique, tu tournes le dos au miroir, à la fenêtre, à mes suppliques, et, le cœur battant, tu allumes la lumière.

1 commentaire:

  1. J'aime cet écrit doux mais sombre à la fois. C'est délicat, reposant et éveille pourtant un sentiment de légère torpeur.

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