Voici longtemps que je n’avais pas parlé de lolita ici, du moins de façon un peu plus personnelle que… par le vêtement.
Curieux mois de juillet, qui soude autant qu’il divise ; il me semble que depuis que j’ai posé le pied dans ces mondanités, il y a un peu plus de cinq ans, les critiques se succèdent et se ressemblent : le milieu est hypocrite, pédant, superficiel, sans intérêt. Ces mêmes critiques se retrouvent sans doute en tous milieux et en tous temps ; je suis persuadée, bien que je ne connaisse pas le sujet à fond, que les salons qui firent les beaux jours de Paris éveillèrent les même considérations… avec peut-être plus de verve et de talent dans la dénonciation.
La déception suivra l’humanité jusqu’au tombeau, car l’Autre n’est pas un miroir, mais bien… un autre !
Pour ma part, j’ai fait mon deuil du lolita actuel depuis que j’ai compris, il y a un peu plus d’un an, que le courant ne sera jamais un courant artistique. Il en possédait pourtant le potentiel, la matière, la poésie, mais son ouverture sur le monde occidental, sa popularité, son mercantilisme en ont fait un microcosme de la banalité et de la médiocrité de la modernité. Je le vis bien, car après tout, j’y ai forgé de belles amitiés, en ai tiré beaucoup de plaisirs…
Je n’ai guère envie de me lancer dans une énième diatribe contre la superficialité de la communauté, qui existe, mais à laquelle je ne souhaite plus du tout m’intéresser. Pour une belle santé mentale, fuyons le gâchis ! Car c’est cela qui mine, également, le lolita : les mesquineries, les cachotteries, les jalousies ; les dragons qui essaient de le faire rentrer dans leur moule, et qui s’y brisent les dents. Fut un temps, demi-dragon, où je me lamentais sur la perte de goût et de références classiques du milieu, et tout ceci m’aura apporté bien plus de rancœur qu’autre chose. Les froufrous
rori sont passés de manifeste à divertissement, tant pis, tant mieux, de toute façon, tout ceci est amené à périr un jour, comme le reste.
Dès lors, dans ce marasme pessimiste, comment appréhender gaiement l’avenir ? À ma petite échelle, j’ai trouvé deux axes sympathiques.
Je rappelle déjà brièvement mon idée, basique, de ce qu’était pour moi le lolita lorsque je suis tombée dedans : un manifeste esthétique, social, et même politique. La lolita refusait la médiocrité du monde contemporain en choisissant un chemin semé d’embûches, où elle forgerait son caractère dans la confrontation à la banalité de l’autre : l’armure de roses des textes fondateurs (un peu nazes, ça fait du bien de le dire, mais au moins il y avait de l’idée) prouve bien la volonté de combat. Rejet de la culture de divertissement par le travail sur soi, l’apparence vécue non comme exutoire (
it's just a phase) mais comme construction de l’identité. Rejet de la vision patriarcale de la femme-objet. Rejet de la consommation de masse. Etc., etc.
Là-dessus, force est de constater qu’il n’en reste pas grand-chose. L’attrait de la différence, dans un monde qui place si haut l’identité individuelle, a ruiné ce qu’elle voulait forger. Le problème vient, je pense, du Japon lui-même, où le consumérisme des cultures marginales est si puissant qu’il finit par en ronger la raison d’être. Déjà, l’idée de marginalisation, au Japon, est en elle-même un paradoxe ! Il y a tant à étudier autour, le sujet est passionnant, mais en tant qu’observateur extérieur, hélas…
Si je dois donc résumer mon problème face au lolita le voici : j’y cherchais une philosophie, et n’y ai trouvé que quelques vagues thèses sociologiques. Le lolita n’a pas d’essence, il n’est qu’un agrégat d’individualités qui se sont réunies par passion commune et non par raison d’être, pour créer une société dans la société et non pour bouleverser celle d’où naissaient les problèmes. Révolutionnaires en dentelles, on vous aurait pourtant écrasé l’assommante modernité à coups d’ombrelles et de tasses de thé !
Ainsi, le changement, si changement il y aura, se fera à échelle individuelle, en attendant, peut-être, un leader éclairé. (C’est mon côté judéen, j’attends toujours le Messie.)
Bref, je m’égare. Voici les deux axes promis.
~ La création artisanale.
C’est un peu mon dada en ce moment, mais je suis vraiment, sincèrement emballée par toutes les jeunes marques qui poussent un peu partout. L’envie de s’approprier une esthétique, de lui rendre hommage par la création est une attitude bien plus saine que d’attendre que la sacro-sainte
burando vous ponde son énième imprimé dans la bouche moyennant une qualité toujours plus minable pour des prix toujours plus ridicules.
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Mon dernier coup de cœur : The Wooldland Path de Mulberry Chronicles, jeune marque australienne. |
On râle beaucoup sur l’esthétique corrompue du lolita, sur ce besoin d’en faire toujours plus dans la démesure ; j’avoue que je suis de plus en plus tolérante à certaines idées tant qu’elles possèdent un fond, une histoire. Il y a tant à raconter avec un vêtement (
prolongement visible de l’invisible, j’en discutais hier seulement avec mon poète préféré), et je trouve que les petites marques ont cette créativité et cette envie de partager plus qu’un bout de tissu, avec des univers cohérents, des bouts de chemins à emprunter pour forger son propre récit, son propre personnage le temps d’une journée.
C’est ce qui me plaît lorsque je regarde des
tenues du jour, c’est ce qui est si appréciable chez des personnes comme
Aliénor, qui mélangent vraiment plein de domaines et de références différentes (même si, et c’est là où le bât blesse, il faut encore les maîtriser).
Évidemment, cette jeune vague créatrice a elle aussi ses travers, tant elle est liée à des facteurs qui lui sont extérieurs ; on y retrouve les aléas de la mode, de la popularité, mais au moins…! elle suppose l’action et non la soumission à un courant qui nous dépasse.
J’espère que ces travaux de jeunes créateurs resteront loin de la spéculation qui ronge également la communauté, en plus de lui être totalement antithétique.
~
Le vivier artistique.
Le lolita ne sera vraisemblablement pas un courant artistique majeur du XXI
e siècle. Qu’importe. Ce qui m’exalte, c’est de voir qu’il put être un terreau fertile au talent de jeunes personnes, et qu’il le sera sans doute encore, principalement en illustrateurs et en photographes (car le lolita reste surtout visuel…) qui, même s’ils ont plus ou moins quitté le mouvement et ses délires mondains, ont gardé cette sensibilité onirique et pure de la jeune fille, du déchirement que cause le réveil et l’entrée dans la vie matérielle. Mélange de romantisme, de symbolisme et de surréalisme, notre monde désenchanté n’en a pas fini avec le conte et l’imaginaire dont se repait le lolita.
Si le mouvement tel qu’il évolue ne plaît plus, ne restent que deux possibilités : le vivre tranquillement de son côté (le partage n’est en rien une obligation, surtout avec des personnes dont les intentions nous déplaisent), ou alors en tirer le suc pour agir et lui redonner ses lettres de noblesse.