jeudi 17 décembre 2015

CCLXXIV ~ My Sweet Lolita

Photographies (et lunettes !) : Charlotte Skurzak (polaroïd et numérique). 


Derrière le rêve jamais avoué de porter des lunettes en forme de cœur (c’est maintenant chose faite) se cachait surtout l’envie de porter pour un instant la peau de l’une des plus tragiques héroïnes du XXe siècle, Lolita.


Je n’ai jamais vraiment compris les réactions outrées de certaines personnes par rapport au livre de Nabokov, et qui se bornent à y voir une apologie de la pédophilie derrière les rêves creux et alanguis d’une insupportable gamine égocentrique. Le récit m’a toujours paru amplifier l’aspect pathétique de la relation entre Lolita et son ravisseur, et je n’y ai jamais décelé la moindre admiration ou la moindre tendresse pour les actes de l’une ou de l’autre.
Je pense justement que tout le côté dérangeant de Lolita tient dans ce manque complet de romance et de poésie, ou une paumée tombe simplement sous le joug d’un dangereux paumé. De là, pour moi, l’héroïne tragique : Lolita n’a aucun contrôle sur sa propre existence, et d’un geste irréfléchi aura fini par causer effectivement sa perte. 


L’autre aspect tragique de Lolita tient à ce qu’en a fait parfois la postérité, une petite allumeuse qui n’a que ce qu’elle mérite. Soit, pour avoir joué avec les feux d’un homme qui avait l’âge d’être son père : un enlèvement, une déscolarisation, des viols, du harcèlement, etc. Le châtiment me paraît équitable, et j’y songerai la prochaine fois que je tomberai face à un adolescent qui me demandera mon numéro pour se donner l’air viril.
C’est peut-être aussi un peu pour cela que je suis contente de voir que son mythe est repris par une certaine partie des courants vestimentaires féminins japonais, qui ne cherchent pas forcément à la glorifier mais simplement à évoquer sa mélancolie de la même façon que certaines personnes jouent avec les figures de Juliette ou d’Ophélia (suivez mon regard). Je trouve qu’il existe une très forte poésie chez la jeune fille qui s’éveille à elle-même, malheureusement trop souvent sexualisée de façon malsaine.

11 commentaires:

  1. Un article qui peut vous intéresser, sur Nabokov et les naïades (et Ophelia), de Barton Johnson, ''L'inconnue de la Seine'' and Nabokov's Naiads :
    http://www.academicroom.com/article/linconnue-de-la-seine-and-nabokovs-naiads

    J'ai posté quelques images d'après vos photos sur un compte flickr accessible depuis celui de votre amie Charlotte.

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    1. Merci beaucoup pour ce lien, c’est une belle source d’inspiration (qui m’aura permis de dérouiller un peu mon russe !). C’est amusant, je lisais « La Peau de chagrin », il y a quelques semaines, et cet article m’y a fait repenser…

      Je n’ai pas trouvé votre compte Flickr, en revanche.

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  2. Merci. Il faut que Charlotte se connecte sur son compte Cha Sku pour y accéder et qu'elle consulte ses flickrmails.

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  3. Le châtiment n'est pas équitable. Lolita ne méritait pas de se faire déscolarisée, ni harcelée et SURTOUT PAS violée. D'après moi Lolita cherchait peut-être de l'affection quelque part (de l'affection paternelle?). Mais même si elle l'avait "allumée" juste pour le plaisir, elle ne méritait absolument tout ce que Humbert lui a fait. Humbert et le seul coupable.

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    1. Euh oui, nous sommes bien d'accord, Dieu merci.
      Peut-être Lolita cherchait-elle de l'affection, ce qui est sûr c'est que c'est une jeune fille qui se cherche et qui se fait abuser, d'où mon incompréhension totale sur le fantasme romantique, fût-il du point de vue de Lolita ou de Humbert, qui a pu naître de cette histoire. C'est aussi absurde que de dire que l'attitude de Pyrrhus envers Andromaque est follement romantique !

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    2. "L’autre aspect tragique de Lolita tient à ce qu’en a fait parfois la postérité, une petite allumeuse qui n’a que ce qu’elle mérite. Soit, pour avoir joué avec les feux d’un homme qui avait l’âge d’être son père : un enlèvement, une déscolarisation, des viols, du harcèlement, etc. Le châtiment me paraît équitable" J'ai dû mal lire alors! C'était ironique?

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    3. Oui, complètement ironique. Sinon, pourquoi considérerais-je ce traitement comme tragique ? Vous avez tronqué ma phrase, lorsque je disais ensuite que « j’y songerai la prochaine fois que je tomberai face à un adolescent qui me demandera mon numéro pour se donner l’air viril » ; à moins que vous ne m’imaginiez assez bien enlever, déscolariser, violer et harceler un jeune garçon qui se cherche une identité (et j’avouerais, dans ce cas, que ce serait assez vexant à défaut d’être amusant), cette phrase n’avait pour ambition que de soulever l’absurdité de certains jugements…

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    4. J'ai tout pris au premier degré, sincèrement désolé. J'avais tronqué la phrase car je pensais que vous faisiez justement parti de ces "jugements". Je suis bête.

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    5. N’est-ce pas plutôt de l’impulsivité que de la bêtise ? Pour peu qu’un sujet nous tienne à cœur, on s’emballe parfois rapidement. Quoi qu’il en soit, rassurez-vous : ni ce blog ni son auteur ne soutiennent l’apologie du viol.

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    6. C'est bien vrai, enfin je crois. Je suis assez énervé de la mode qui court autour du livre en ce moment. Rien de personnel, mais j'ai l'impression que la véritable essence du livre a été perdue avec toutes ces filles qui se qualifient de "nymphettes" et qui ont tendance à plus apprécier l'esthétique du film que le livre lui-même. Peut-être qu'elles sont ironiques, elles aussi? Peut-être que ça ne me regarde pas cette mode? Honnêtement, qu'est-ce que j'en sais? Si c'est de l'ironie je crois que je m'énerve vraiment par bêtise. En tout cas, je suis rassuré.

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    7. C’est malheureusement chose assez fréquent que de s’attacher à l’esthétique d’un film plutôt qu’au livre qui l’a inspiré. Le premier exemple qui me vient en tête est « Anna Karénine » : voir le film sans lire le livre, c’est passer à côté de toutes les réflexions que Tolstoï aime imbriquer dans ses intrigues, ne garder que l’anecdotique. Pourtant, de tous les spectateurs, combien ont lu le texte originel ? Le caractère immédiat du cinéma est malheureusement parfois plus séduisant que la confrontation au livre. Ce qui ne veut pas dire que ce mode d’expression est sans intérêt, simplement que l’adaptation est un exercice très difficile et souvent trop mal creusé.

      Pour « Lolita », ce n’est pas vraiment l’esthétique des deux longs-métrages qui m’intéresse, déjà parce que je n’ai pas vraiment aimé les deux adaptations qui en ont été faites, mais surtout parce que ce qui me rend curieuse n’est pas l’apparence de Lolita mais ce qu’elle peut ressentir et penser. Évidemment, par la photo, il est plus aisé de s’aider de codes visuels pour représenter un personnage, mais le code visuel n’a pour moi aucun intérêt s’il n’y a pas autre chose au-delà du travestissement. Comme un masque qui apporterait l’apparence et la substance.

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