mardi 26 juillet 2016

CCCXVIII ~ La donzelle n’est plus très bavarde, dit-on.

Je suis rentrée dimanche d’un petit périple poitevin (sans photos, il me faut encore trier celles du mois de mai…). Au programme cette fois-ci : le château du Coudray-Salbart, l’abbaye Saint-Vincent de Nieul-sur-l’Autise, la Corderie royale de Rochefort, des baignades (je suis… bronzée…), des promenades en bord de Sèvres, une petite visite de Niort, et pas mal de lecture. J’ai retrouvé en déménageant un carton de livres récupérés chez ma grand-mère peu après son décès, que j’avais oublié de prendre lors de mon précédent déménagement (promis, je ne fais pas que déménager dans la vie) et qui tombait à point nommé pour ma brève trêve estivale. J’ai pu commencer les Rois maudits, qui pour le coup a tout d’une lecture d’été (un peu d’intrigues politiques, de cape et d’épée, de la vengeance, des belles pécheresses, on se croirait en train de regarder France Télévisions), et qui présente deux avantages non négligeables, celui de se lire rapidement et celui d’être suffisamment léger pour pouvoir lire autre chose à côté. Heureusement j’ai réussi à dépasser mes problèmes d’éparpillement en matière de lecture, mais je reste incapable de me tenir à un seul ouvrage à la fois – cela rendrait pourtant certaines choses tellement plus simples.
Je repars en fin de semaine, cette fois-ci pour découvrir la Gascogne, le sang de mon Poète, et j’espère pouvoir profiter des quelques jours qui arrivent pour me livrer à des tâches moins aliénantes que vider/trier/ranger cette masse matérielle liée à mon quart de siècle qui s’est achevé le mois dernier.

Pourquoi doncques, quand je veux
Ou mordre tes beaux cheveux,
Ou baiser ta bouche aimée,
Ou toucher à ton beau sein,
Contrefais-tu la nonnain
Dedans un cloître enfermée ?

J’ai bien évidemment hâte de repartir, surtout pour une région que je n’ai que très vaguement fréquentée et qui m’est déjà très chère par reflet. J’ai décidé, à la suite de ces vacances, de dresser la liste de chacun des lieux que j’aimerais visiter dans chacun des départements français, tâche sans aucun doute bien plus colossale que le Titan que j’imagine déjà, mais à fréquenter ces châteaux, ces pierres, ces puits aux fées, à côtoyer ces fantômes qui me racontent leurs songes et leurs espoirs brisés, je ne rêve que de m’en gorger encore et encore. C’est sans doute le trait de l’époque dans lequel je me reconnais le mieux ; lassée de l’œuvre de mes contemporains, je me réfugie dans la ruine. Depuis deux siècles, la France vivante se délite en portant aux nues ses souvenirs, mais si je désire ardemment me plonger dans ceux-ci, c’est uniquement pour aider à ciseler un peu le cristal de mon époque. Toute ma vie, j’ai cherché un mentor, mais ceux que j’ai choisis pourrissent depuis longtemps parmi les vers ; il ne me reste que moi, pour reprendre ce mot d’Anaïs Nin que j’adore : « For too many centuries, women have been muses to artists. I wanted to be the muse, I wanted to be the wife of the artist, but I was really trying to avoid the final issue – that I had to do the job myself ».

Pour qui gardes-tu tes yeux
Et ton sein  délicieux,
Ton front, ta lèvre jumelle ?
En veux-tu baiser Pluton,
Là-bas, après que Caron
T’aura mise en sa nacelle ? 

Chanter son époque, c’est en être le creuset, devenir le point de tension où tout se rencontre, tout afflue. C’est lier toutes les folies modernes, les comprendre, les exalter (ou les dénoncer), les sublimer ; haïr ou adorer, sans juste milieu. C’est, sans doute, l’un des plus beaux sacerdoces ; le lien de l’humanité présente avec ce qu’elle sera des décennies plus tard, la transmission d’un joyau, d’une part de la beauté de l’univers. Le poète ne chante pas que pour lui-même mais pour chacun des siens, jusqu’aux étoiles ; il frôle l’infini par la seule force de son art – car, lorsque je parle de poète, je ne parle pas du seul versificateur, mais de l’artiste, quel qu’il soit, qui a su transcender ses modestes moyens pour devenir le Verbe, fût-il musicien, illustrateur, créateur de bijoux, que sais-je. Le poète est une sorte de prophète qui, au lieu de chanter Dieu, se chanterait lui-même, en tant qu’humain bien sûr, et pas en tant qu’individu, parfois peut-être malgré lui, lorsqu’il se fait dépasser par son génie. Je divague beaucoup là-dessus car le sujet me touche, évidemment, et j’y repense à chaque fois que j’ai l’occasion de voyager un peu, surtout seule (car le Poète, bien sûr, fait partie de ma solitude). J’ai mes griefs et mes sujets de complaintes, qui varient rarement, et cela fait du bien de les oublier pour des pensées plus lumineuses, et de les noyer dans les paysages et la lecture – même si je ne les tue jamais vraiment, car je ne peux travailler correctement sans un brin de colère, c’est mon côté rebelle.

Après ton dernier trépas,
Belle, tu n’auras là-bas
Qu’une bouchette blémie ;
Et quand, mort, je te verrai,
Aux ombres je n’avoûrai
Que jadis tu fus ma mie.

Plus sérieusement, la place du poète dans notre XXIe siècle a recommencé à me travailler depuis la mort d’Yves Bonnefoy, survenue peu avant que je ne parte dans le Poitou. Je ne suis pas une fervente admiratrice de son œuvre, mais il m’a vraiment semblé assister à la toute fin d’une époque poétique. Poète mais aussi critique, philosophe ; il existait une profondeur et une cohérence dans son œuvre que je ne retrouve vraiment nulle part, maintenant. Je m’interroge beaucoup sur les mutations qui sont survenues dans l’art depuis la fin du XIXe siècle, sur ce nouveau statut du poète qui n’est plus poète de cour ou poète du pouvoir sans être vraiment dissident. Je ne sais plus qui me disait que l’art romantique était insupportable de nombrilisme ; c’est vrai, Les Souffrances du jeune Werther, c’est beau, mais insupportable (et j’ai longtemps beaucoup glosé sur un mot de Chateaubriand dans ses Mémoires, « Le jour où ma mère m’infligea la vie »), pour autant c’est aussi l’ère de l’Idéal, qui dépasse le simple repli sur soi, ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Un idéal, c’est cloisonnant. Pour autant, il existe encore une réelle soif de poésie. La popularité de l’art japonais aujourd’hui en est pour moi un exemple flagrant, mais c’est une poésie plus douce, plus quotidienne et abordable que le drame cornélien qui passe au-dessus de la plupart des têtes, parce que les mentalités changent, et qu’il est compliqué de se mettre à la place de ce qu’on ne comprend pas – ces incompréhensions m’effraient parfois par la relecture historique qu’elles apportent sur certains thèmes, mais n’apportons pas plus de digressions à un billet qui en comporte déjà trop.

Doncques, tandis que tu vis,
Change, maîtresse, d’avis;
Et ne m’épargne ta bouche ;
Car au jour où tu mourras
Lors tu te repentiras
De m’avoir été farouche.

In La Reine Margot d’Alexandre Dumas.


Le début de l’été est une période si douce. L’esprit occidental qui vit au rythme des vacances scolaires prend un peu de repos, les jours sont à leur plénitude, tout paraît plus léger ; les volets se ferment pour protéger de la canicule, on mange des fruits jaunes et juteux, et la chaleur embrume les rues. Chaque ondée, chaque brise se savoure. Quel meilleur moment que celui-ci pour s’atteler à la tâche que l’on s’est choisie ?

2 commentaires:

  1. Essai toujours aussi agréablement rempli de phrases à tiroirs, si l'expression peut convenir à ce qui ne se peut contenir : des perspectives. Certaines pensées ne sont jamais aussi bien dévoilées qu'en passant, soit pour résonner plus tard, soit parce qu'elles n'admettent pas la même clarté que les lignes derrière lesquelles elles se glissent. En somme, j'aime beaucoup tes divagations.

    Le fil conducteur de ton train de pensée également, naturligtvis. À moins que je ne sois à côté de la plaque, je perçois moi aussi le côté oppressant de cette peur du temps qui passe qui a toujours été présente à l'échelle de la vie mais qui sans doute a pris une dimension plus culturelle récemment, alors même que suivant le principe de l'évolution nous ne saurions envisager que le perfectionnement pour l'avenir — certes souvent perçu par beaucoup comme sombre mais ne devant bien souvent de telles conjectures qu'à un manque de volonté plutôt que de capacité. L'habitude de la progression aidant, il est déroutant d'être entouré d'excellences que nous ne pouvons pas surpasser à cette époque donnée (je pense beaucoup aux domaines des arts et artisanats), même si ces déclins ne sont heureusement pas généraux et que d'autres secteurs continuent la marche normale des évènements. C'est normal que cette contradiction soit impossible à accepter calmement !

    En revanche ta dernière phrase m'évoque les mains moites, le manque d'air et de lumière qui m'encouragent précisément à laisser de côté les travaux sérieux à cette période.

    La peau pâle c'est tellement fin de siècle.

    (Note le billet rédigé façon deux derniers siècles)

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    1. Ta réponse est si bien en accord avec ce que je pense que je n’ose y répondre de peur de n’en faire qu’une périphrase avec des mots moins bien choisis.

      Quant à ton troisième alinéa, j’ai une bonne explication : tu habites dans le Sud. Les étés parisiens sont un peu plus cléments, avec une bonne isolation et quelques glaces à l’eau (d’autant que là, depuis mon retour dans le Gers, ils fait à peine plus de 20 degrés l’après-midi).

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