lundi 19 septembre 2016

CCCXXIX ~ Soombre


L’initié me conduit dans une pièce sans fenêtres, où les restes d’un trépané psalmodient dans un souffle étranglé une ode à la grande Russie ; où d’innombrables crucifix, suspendus à une tenture de velours, flamboient d’un triste phosphore…
« Chacune de ces croix est la relique de la dernière larme versée par les âmes qui par nous furent damnées… Car nous vainquons, nous vainquons toujours !
— Je ne suis pas venue écouter ton boniment », dis-je, et de laisser tomber mon vêtement, dévoilant gorge ronde et taille souple. De grands miroirs se troublent, palpitent : c’est l’épreuve qui commence ! Et un ! deux ! trois ! Baiser, morsure, galop d’enfer : des reflets vacillants émergent la raclure et l’immondice ; mes reins se cambrent, ma croupe se redresse, et mille fantômes avides peuvent enfin s’y abreuver. Un crâne me dévore de sa mâchoire branlante, et il loge entre mes cuisses plus de démons que n’en compte la Géhenne… !
Mais je porte haut mon vice, et ma candeur me sauve. J’aime, je caresse, j’étreins, et les déchus ne parviennent à m’étourdir ; j’excite leur désir, devance leurs jouissances ; je me pâme et les attise, les rejette et les retiens ! Leur macabre luxure assaille tous les replis de mon corps, et la mort elle-même s’épuise sur ma chair de lys, entêtante tel un relent d’église…
Je ne crains le sabbat, s’il m’offre la lumière ! Ô anges du ciel, gloire céleste, divine connaissance, je vous devine à travers la brume de l’extase, et bientôt je serai votre égale, immortelle, invincible, même si pour vous atteindre se pressent ce soir contre mon sein le cadavre des rois et le râle des monstres. J’incarne la puissance du premier orgueil, et mon péché étincelle d’une pureté que ne peuvent étouffer les plus sombres ténèbres. La noblesse des fleurs n’est-elle pas fille de vermine ? 

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Vous aimez les mises en scène un rien décadentes, les nudités monochromes qui évoquent des préparatifs de Sabbat ? Paul von Borax aussi. Il leur a même dédié tout un recueil de photographies et de textes écrits par ses modèles et par lui-même. Maintenant que la bête est sortie, j’en profite pour lui dédier un petit billet, tout en restant avare sur les images pour vous donner envie de vous le procurer (eh oui). Plus sérieusement, certaines photographies sont d’une intensité remarquable, et j’espère qu’elles vous plairont. 

4 commentaires:

  1. Superbes texte et photo !
    Merci également pour la découverte, je ne connaissais pas ce photographe !

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    1. Merci beaucoup ! Et de rien, c’est un plaisir de partager de jolies choses.

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  2. Ce qui est intéressant finalement, c'est que tu t'es lancée dans ces couples texte-image et que ton écriture elle-même verse beaucoup dans cette dualité, avec des passages très imagés. L'exercice peut vite être bancal, et l'usage abusif, mais j'ai l'impression que tu t'en sors de mieux en mieux, bien que cela fasse des semaines que je me dise d'aller relire tes textes plus anciens, pour voir si c'est juste mon imagination. Je serais la première embêtée de t'avoir flattée pour rien.

    Il faut dire que j'apprécie particulièrement que les auteurs m'extraient de la langue française des mots intéressants, pas forcément d'un niveau de langue supérieur d'ailleurs : les mots familiers mais désuets me parlent énormément aussi. J'ai tendance à être un peu partiale envers les textes qui y ont recours, du moment que de la pédance ou un surdosage maladroit n'en ressortent pas trop.

    Je pense que si un jour j'ai des revenus un eu plus élevés, l'achat de livres d'art sera introduit dans mon budget. Pour l'instant, je me contenterais de souhaiter que ton photographe arrive bien à se diffuser.

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    1. L’image, par la pose, m’a aidée à me remettre d’aplomb après des années de doute sur mon rapport à l’écriture. Lier des textes à la photographie était, au début, une sorte d’entraînement pour me remettre à la plume sans toute la pression qui se dégageait de mes autres formats plus ambitieux. Pour le moment, ça me convient. J’espère à la fois parvenir à créer des pièces chouettes à plusieurs mains et en même temps à ne pas m’enfermer dans la seule représentation par l’image. Mais ça me fait plaisir que tu aies cette impression de progrès, parce que j’ai toujours cette fâcheuse à rejeter immédiatement mon travail. Je ne comprends pas pourquoi je me mets tant de barrières alors que je prends tant de plaisir à écrire, mais j’ai néanmoins et heureusement l’impression que tout ceci s’estompe au fur et à mesure. Youpi, comme dirait l’autre.

      Quant au vocabulaire, je suis plutôt adepte du vocabulaire simple mais évocateur. Je n’aime pas les gens qui se gargarisent de leur culture sémantique. Il n’y a pas longtemps je suis tombée sur une nouvelle où le vocabulaire et les tournures étaient très ampoulés, mais le rythme et la puissance évocatrice frôlaient le néant. Tu sens que l’écrivain a plus sué pour ne jamais employer deux fois le même mot que pour écrire, tout simplement, et ça se ressent tout de suite à la lecture. Tout le monde n’est pas Huysmans (le spécialiste de la racine grecque oubliée), qui parvient à mêler l’effet au mot rare. Généralement, on croit qu’utiliser un terme compliqué suffit à créer de la littérature, mais cela ne restera qu’un effet de manche si l’on n’y mêle pas autre chose (ce fameux et mystérieux talent, peut-être ?). Par exemple, je viens de poster un extrait d’une nouvelle de Jean Lorrain, où il parle de ciels de "turquoise malade". Ces deux mots sont très courants, le commun les comprend sans peine, mais c’est leur association qui est saisissante. D’autant que j’imagine qu’à "turquoise malade" correspond exactement un vocable très savant, mais qui n’évoquera aucune poésie et ne parlera à personne.

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