A la manière de Mlle. Chantilly ou encore Lady Yumi, j'ai eu envie de faire un article sur mon parcours lolita. Je mets également un lien vers cet article de Rehem qui, même s'il ne parle pas réellement du parcours d'une lolita, reste très instructif et agréable à lire (il faut cliquer sur les noms des demoiselles, je n'ai toujours pas eu le courage de modifier les paramètres du blog pour que les liens se voient correctement 
).
2001. Tout commence alors que mon père est à Paris. Me proposant de passer un peu de temps avec lui, il m'emmène dans une librairie de livres d’art. Il tombe là-bas devant un ouvrage qu'il me montre en riant : c'était le premier Fruits, des éditions Phaïdon. Le pauvre ne savait pas dans quoi il s'était embarqué, tout de suite ce fut le coup de foudre.
Je n'avais que 11 ans, et ma mère choisissait encore mes vêtements pour moi. Sans compter que j'étais un vrai garçon manqué (cette période paraît loin maintenant !), je me bagarrais pour un oui ou pour un non, j'y ai même laissé un bout de dent... Je n'aimais pas les filles parce qu'elles passaient leur temps à faire des simagrées devant les garçons : pour moi, la féminité se confondait avec paraître fausse et maniérée. Le lolita fut un choc énorme. Il y avait, quelque part au monde, des poupées vivantes, sombres, et très, très, très féminines, qui renvoyaient bien plus que des minauderies : du mystère et de la grâce. J'ai mon premier coup de foudre pour Sachi.
À cet instant, je ne m'imaginais pas du tout m'habiller comme ça un jour. Je voulais simplement passer mon temps à les regarder, les contempler, admirer la dentelle de leurs blouses et le raffinement de leurs robes.
2002 - 2004. Premier grand traumatisme de mon adolescence : je saute la quatrième et change de collège, ce qui me fait arriver en troisième dans un lieu inconnu à 12 ans. Pour pallier les brimades, je m'enferme dans un style complètement puéril : couettes hautes avec élastiques lapin, pantalons mauves et rose pâle, stylos et trousse Sanrio... On se moque de moi, mais je m'en fiche, car je provoque moi-même les moqueries en cultivant l'enfance à outrance. Je cherche toujours mes inspirations dans Fruits, que mes parents appellent maintenant ma bible : je l'emporte dans mes valises à chaque départ en vacances, avec le 10e tome de Sailor Moon. Je suis vestimentairement tout aussi éloignée du lolita qu'à 11 ans, mais quelque chose se provoque dans mon esprit : pour la première fois je me reconnais dans une lolita et je pleure en même temps qu'elle. Merci, Misato.
(Et je me suis promis qu'un jour, moi aussi je porterai du Vivienne Westwood.)
2005 - 2006. Une blessure à la main, dont je n'ai su qu'en 2011 qu'elle était guérissable, me force à arrêter le piano alors que je me destinais à devenir concertiste. Mes parents essaient de me convaincre que ce n'est pas si grave, qu'il faut se concentrer sur le bac qui arrive en fin d'année. Pour moi, c'est la fin du monde. Mes notes dégringolent et mon moral aussi : mes professeurs essaient de me mettre en garde, mes camarades de classe viennent se vanter auprès de moi de m'avoir battue, moi, la pseudo-surdouée ! dans telle ou telle matière, et ma mère me répète en permanence que si je continue comme ça, je vais droit dans le mur. Il y a beaucoup d'autres choses encore, mais elles sont vraiment trop personnelles pour en parler ici. Je ne trouve le repos que dans la lecture et... le lolita. Enfin, j'ai l'impression qu'il me parle vraiment, comme si cette fois, la blessure était tellement profonde que le seul moyen de me guérir était de fusionner avec lui. Je considère toujours les marques japonaises comme inatteignables, alors je me réfugie dans une friperie à quelques stations de métro de chez moi, où je trouve quelques robes et jupes de forme cloche, j'achète un tutu long de danseuse que je coupe aux genoux pour me faire un panier, et je réalise moi-même mes propres bijoux. Mon professeur de philo commence à me surnommer la poupée gothique, on est loin des couettes lapin de mes 13 ans...! (et ce n'est que maintenant que je réalise à quel point ce compliment était génial). Ma tenue fétiche était une robe de coton bleu, que je portais avec des collants blancs, un serre-tête et des chaussures noires. Un peu comme cette tenue, mais... en bleu ! Très Alice, en fin de compte.

2006 - 2007. Rien ne va plus avec mes parents, j'essaie désespérément de leur prouver que je suis une adulte responsable, mais rien ne se déroule vraiment comme prévu. Ma décision d'aller en faculté alors qu'ils me destinaient à autre chose ne passe pas. Les disputes deviennent de plus en plus fréquentes, je fais des micro-fugues pour voir des personnes pas nécessairement fréquentables, plus de lolita, plus de Fruits, j'ouvre vaguement le Gothic and Lolita des éditions Phaïdon reçu à Noël : m'échapper mentalement ne me suffit plus.
2008 - 2010. Un jour, en mars (oui oui, je me souviens même du mois !), en me promenant avec une amie, je tombe sur une boutique étrange... Harajuku. J'entre, curieuse, et là, j'essaie de garder la face devant mon amie, mais je pleure : je touche, pour la première de ma vie, du Moi-même-Moitié. J'achète une veste GL sans marque trop grande pour moi, mais je m'en fiche, l'émotion est, elle aussi, trop grande : devenir lolita, et en plus en portant du Moitié, c'est donc possible ? Je passe régulièrement dans cette boutique, comme j'ai un cours, une fois par semaine, à la Sorbonne qui est toute proche : finalement, quelqu'un (c'est dire à quel point je connaissais les membres de la communauté à l'époque...) me demande de défiler à la Japan Expo, pour Jeff Dark Art. N'y croyant pas, je cherche conseil auprès de mon petit ami (le fameux Ohm), lui déballe tout sur le lolita, et enfin, il me dit de foncer (ce que je fais). Début juillet je m'inscris sur Cotton Candy, recommandé par une fille qui défilait avec moi.
Trois semaines après mes 18 ans, c'est la porte, sans le sou et sans travail. Je m'achète quand même, en septembre, ma première robe de marque japonaise, une baby de seconde main.
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Hem Scalloped JSK, de Baby. |
En janvier 2009, j'achète mon premier item Moitié, un jupon Méta, et un bloomer Baby. Je visite pour la première fois la boutique Baby, à Paris, avec mes yeux de petite fille de 11 ans. Pour le mariage du frère de l'Ohm, on achète une robe Juliette et Justine, pour celui de ma cousine, une Mary Magdalene. Après m'être contentée de rêvasser pendant des années, je veux toucher toutes ces marques qui me paraissaient inaccessibles. Je n'achète que des vêtements à dominante noire ; je porte, avec beaucoup de joie, le deuil de cette vie où le lolita n'était plus important, et où je me perdais plus que je n'avançais. Forcément, pour mon compte en banque, ça ne suit plus vraiment, mais je finis par trouver un travail et un équilibre financier (un peu précaire, mais quand même). Je me lie d'amitié avec Nokturnal Clash, la première lolita occidentale que j'aie vraiment admiré, j'échange ma Baby contre une autre Baby, noire (ce que je regrette, maintenant, j'aurais dû garder ma première robe !), je m'inscris sur RE, je participe aux conventions ; bref, je m'accomplis totalement en tant que lolita.
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Ma première pièce Moitié ! |
2011. Ce rythme frénétique s'essouffle : je me cabre devant l'entrée définitive dans la vie d'adulte, fais à nouveau n'importe quoi de mon existence et fuis mes responsabilités. Quand enfin je décide de les assumer, je ne me sens plus à l'aise en lolita : j'ai, quelque part, l'impression de l'avoir trahi. Je m'essaie au mori, qui me fait du bien à l'âme ; ses replis, ses couches protectrices, me permettent un peu de me reposer. Mais je me refuse à abandonner le lolita, qui fait maintenant tellement partie de moi : je ne vends aucune pièce de ma garde-robe, elle dort tranquillement dans mon armoire, attendant que je la réveille.
2012. Je commence ce blog pour remettre de l'ordre dans mes idées. Naturellement je recommence à acheter quelques pièces, et je reporte le lolita sporadiquement, pour me réhabituer un peu à lui, ou l'inverse. L'Ohm me pousse à acheter ma Victorian Maiden, si différente des pièces que j'achetais jusqu'alors, mais il eut raison de le faire : en la portant je redécouvre une partie de ma personnalité, que j'avais abandonnée au profit du noir. Je me sens, quelque part, plus proche de la lolita que j'étais à 15 ans. Je veux redevenir celle qui découpait des tutus pour vivre son rêve, découvrir de nouvelles facettes du lolita, revenir au handmade, tester des coordinations et des couleurs inhabituelles pour moi (mais pas de OTT, hein), et quelque part, cette promesse de nouvelles choses à apprendre sur le lolita et sur moi-même efface lentement la peur que j'avais de l'avenir. C'est niais, mais c'est comme ça !
J'ai évoqué ici assez longuement des périodes où je ne portais même pas le lolita, mais que je ne peux pas retirer de mon parcours, car elles ont été, finalement, essentielles pour que j'arrive à concrétiser en moi ce qui m'attirait irrésistiblement dans les photos que je regardais en sortant de l'enfance. Je n'ai pas vraiment l'habitude des articles si personnels, même si l'écrire m'a fait beaucoup de bien, et m'a remis en mémoire certaines choses qui devaient y être remises, ce qui était au début la vocation de ce blog. J'espère, si vous êtes parvenus jusqu'au bout, que cette lecture ne vous a pas trop gêné(e), mais il est bon aussi parfois de rendre certaines choses publiques, pour pouvoir mieux les assumer (oui, je fais ma thérapie aujourd'hui

).