dimanche 15 septembre 2013

CXIII

X

Je dors, mais mon cœur veille… C’est la
voix de mon bien-aimé ! Il frappe : « Ouvre-
moi, dit-il, ma sœur, mon amie, ma colombe,
mon immaculée ; car ma tête est toute cou-
verte de rosée, les boucles de mes cheveux
sont toutes trempées de l’humidité de la
nuit. — J’ai tiré ma tunique ; comment
veux-tu que je la remette ? J’ai lavé mes
pieds ; comment les salirais-je ? » Mon
bien-aimé a alors étendu sa main par la
fenêtre, et mon sein en a frémi. Je me lève
pour ouvrir à mon bien-aimé ; ma main s’est
trouvée dégoutter la myrrhe ; mes doigts, la
myrrhe liquide qui couvrait la poignée du
verrou. J’ouvre à mon bien-aimé ; mais mon
bien-aimé avait disparu, il avait fui. Le son
de sa voix m’avait fait perdre la raison : je
sors, je le cherche et ne le trouve pas ; je l’ap-
pelle, il ne me répond pas. Les gardes qui
font la ronde dans la ville me rencontrent ;
ils me frappent, me meurtrissent ; les gar-
diens de la muraille m’enlèvent mon man-
teau. — Je vous en prie, filles de Jérusalem, si
vous trouvez mon amant, dites-lui que
je me meurs d’amour.

Quelle supériorité a donc ton amant, ô la
plus belle des femmes ; quelle supériorité a
donc ton amant, pour que tu nous supplies
de la sorte ?

Mon amant a le teint blanc et vermeil ; on
le distingue entre mille. Sa tête est de l’or
pur ; ses boucles de cheveux sont flexibles
comme des palmes et noires comme le cor-
beau. ses yeux sont des colombes sur des
rigoles d’eau courante, des colombes qui se
baignent dans le lait, posées sur les bords
d’un vase plein. Ses joues sont comme une
plate-bande de baume, comme un carreau de
plantes de senteur ; ses lèvres sont des lis, la
myrrhe en ruisselle. Ses mains sont des
anneaux d’or émaillés des pierres de Tharsis ;
ses reins sont un chef d’œuvre d’ivoire cou-
vert de saphirs ; ses jambes sont des colonnes
de marbre posées sur des bases d’or ; son
aspect est celui du Liban, beau comme les
cèdres. De son palais se répand la douceur,
de toute sa personne le charme. Tel est mon
bien-aimé, tel est mon ami, filles de Jérusalem.

De quel côté est allé ton amant, ô la plus
belle des femmes ? Vers quel côté s’est-il
tourné, pour que nous le cherchions avec toi ?

Mon amant est descendu dans son jardin ;
il est venu vers la plate-bande de baume,
pour faire paître son troupeau dans les jar-
dins et cueillir les lis. Je suis à mon bien-
aimé, et mon bien-aimé est à moi… mon
bien-aimé qui fait paître son troupeau
au milieu des lis.

Le Cantique des cantiques


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Je suis tombée il y a peu sur une superbe traduction de ce poème biblique, exécutée par Ernest Renan, philosophe et philologue du XIXe siècle, suivie d’un commentaire. Je souhaitais partager l’ouvrage ici, comme on peut le consulter sur Gallica ; évidemment, ouvrage ancien oblige, on trouve quelques remarques qui font aujourd’hui tiquer, sur la finesse des races nouvelles et la lourdeur du génie hébreu entre autres, néanmoins il éclaire superbement les passages les plus obscurs du texte. 

2 commentaires:

  1. Je n'ai sûrement pas les connaissances requises pour comprendre toute l'étendue de ce texte, mais sa beauté m'a tout bonnement envoutée.

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    1. Pas besoin de beaucoup de connaissances pour apprécier sa musicalité, en effet ! La traduction est vraiment prodigieuse, très bien rythmée, comme tu dis on est emporté, envoûté par le texte. À la base, il est fait pour être récité, déclamé, du moins en hébreu, et je trouve qu'on retrouve très bien cette impression.
      Le commentaire est sans doute nécessaire pour bien comprendre l'histoire en fait, comme les différentes voix des personnages sont entremêlées, mais pour ressentir sa puissance poétique, nul besoin d'érudition, je crois.

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