jeudi 23 janvier 2014

CXL ~ Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre !

(Hier soir, en sortant du travail, je me suis précipitée au cinéma pour voir le dernier long métrage des studios Ghibli et de Miyazaki. Je n’ai pas l’impression que cet article contiennent de réels spoilers, néanmoins, si vous souhaitez rester vierge de toute impression sur ce film, je ne peux que vous conseiller de ne pas me lire. En revanche, lisez le poème de Valéry dont est extrait le titre du film, Le Cimetière marin, il donne une autre dimension au film si l’on a le poème en tête, et je ne regrette de ne l’avoir lu qu’après.)


Vision personnelle de Miyazaki sur Jirō Horikoshi, inventeur du chasseur Zéro, l’avion de combat de l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, l’histoire du Vent se lève a été fortement critiquée en Asie et a fortiori au Japon. Accusé de manque de patriotisme dans son propre pays (les prises de position pacifistes de Miyazaki ont été accueillies avec aigreur de la part d’un gouvernement qui cherche à réformer la Constitution sur la possibilité du pays à déclarer la guerre), le film souffre de critiques inverses dans les pays alentour, où la représentation de Horikoshi comme naïf et rêveur a choqué.

En Europe, le rapport au rôle du Japon pendant la guerre est différent. Le Pacifique est loin, les batailles américano-japonaises aussi. Nous avions déjà suffisamment à faire avec nos voisins… ! Pour autant les questions centrales du film gardent tout leur sens chez nous : quel statut donner à la technologie, peut-on lui attribuer une valeur morale, et est-il naïf pour un inventeur de se détacher totalement de son propre contexte politique pour se donner totalement à son grand œuvre, dans toute sa pureté et son idéal ?

Miyazaki est très critique vis-à-vis du Japon. Il n’hésite pas à appuyer sur cette image du Japon arriéré au début du XXe siècle, dont toutes les innovations ont été importées, et qui rêvait de pouvoir enfin devenir un précurseur. L’Allemagne, partenaire politique et technologique du Japon, méprise ouvertement cet allié qui ne sait que copier. La construction de bombardiers s’intensifie, la guerre est imminente. Et au beau milieu de tout cela, Horikoshi, inventeur génial, ne rêve que de construire de beaux avions, bien obligé d’obéir aux injonctions de la Mitsubishi, mais utilisant la compagnie pour enfin réaliser cet avion parfait, à la courbe aussi sublime que celle d’une arête de maquereau…

Pour autant je n’ai pas eu l’impression que Horikoshi a été totalement sacralisé. Son esprit talentueux est certes mis en valeur, mais avec les conséquences qu’il implique dans la vie privée ; entièrement dévoué à son rêve, il ne rend guère visite à sa famille ; il retrouve un amour de jeunesse, qui a contracté entre temps la tuberculose, mais préfère l’avoir à ses côtés que de l’envoyer au sanatorium, car sa présence l’aide à se dépasser dans les calculs nécessaires à cet avion idéal. Tout doit servir à la réalisation du rêve, au détriment de tout le reste, cruauté innocente qui semble être le lot du génie.

Rien n’est blanc et rien n’est noir, il n’y a pas réellement de partis qui s’opposent comme dans Mononoke ou Le Château dans le ciel, la guerre est ailleurs, extérieure et pourtant omniprésente. Ce procédé empêche la caricature et rend les problématiques plus subtiles, plus humaines. Plus sombres, aussi. Ce film, totalement désabusé, émeut. Je pense que c’est le long-métrage le plus personnel de Miyazaki. Tous les thèmes que l’on retrouve dans ses films précédents (le passage à l’âge adulte, la place que l’on occupe dans le monde, la question environnementale…) se retrouvent ici presque mis à nu, comme si le cinéaste livrait encore un peu plus de son propre cœur. Si Le vent se lève est réellement sa dernière œuvre, elle serait le point final parfait à tout le reste. Toutes les histoires racontées dans l’espoir de sensibiliser, d’émouvoir pour une cause qui lui paraissait juste, avec toujours cette angoisse d’auto-destruction de l’homme, se ramènent toutes à celles-ci. Voilà ce que j’ai voulu dire, et pourquoi j’ai voulu le dire, ai-je eu l’impression d’entendre pendant tout le film. J’en ai eu les larmes aux yeux presque constamment. Et j’en suis ressortie gorgée d’amour pour ma propre race, capable du meilleur comme du pire. Je suis homme : rien de ce qui est humain ne m’est étranger. Et il faut tenter de vivre, donc. Alors tentons.

Juste pour finir, je voulais vous donner le lien d’un entretien de Miyazaki avec Télérama, que j’ai trouvé pertinent et boulversant. Le vent se lève est magnifique (sa musique aussi d’ailleurs, je n’en ai pas parlé, mais ses accents italiens se marient parfaitement avec ce Japon d’avant, presque curieusement. Joe Hisaichi, hein.), et surtout, c'est un vrai film. Parce que j’en ai assez de ce réflexe, chez certains, d’assimiler le dessin animé à une chose creuse, juste divertissante, pour les enfants. L’animation est un moyen de s’exprimer comme un autre, elle peut servir à faire passer des messages sociétaux, politiques, poétiques, et il y a un peu de tout ça ici. Et de plus, je ne vois pas pourquoi ce qui serait destiné aux enfants devrait forcément être plat et sans intérêt.

Enfin bref, si vous aimez Miyazaki, allez le voir. Si vous vous intéressez à l’histoire du Japon, allez le voir. Le film est sévère. Mais il est juste, parfois, d’être sévère avec ce que l’on aime. 

6 commentaires:

  1. A défaut de lire ton article maintenant je suis allée voir le superbe reportage de Miyazaki sur Télérama.
    Cela ne fait que redoubler l'envie d'aller le voir au cinéma...Ah, si seulement j'étais en France! Je vais voir si des cinémas le diffusent ici mais j'en doute.

    Je reviendrai lire ton article une fois ce chef d'oeuvre vu.
    Bonne soirée Hana ~

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    1. Peut-être sortira-t-il d'ici une semaine ou deux là où tu te trouves ? En tout cas j'aimerais bien lire ton avis une fois que tu l'auras vu ^^
      Passe une bonne journée et une bonne fin de semaine !

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  2. J'ai bien attendu de voir le film pour lire ton article, je ne voulais pas trop en savoir et le voir vierge de tout à priori.
    Le film m'a désarçonné car j'ai trouvé l'animation un poil en dessous de la qualité habituelle et que les ellipse temporelles étaient un peu brouillonnes. Mais la force du film à mes yeux, c'est que derrière son apparente simplicité il infuse tant les idées qu'il véhicule sont subtiles. Comme tu le dis si bien, rien n'est tout blanc ou tout noir et tout est constamment sur le fil.

    Merci pour l'entretien pour Télérama qui termine de mettre les points sur les i. C'est intéressant de connaitre la position de Miyazaki vis à vis de son gouvernement pour mieux lire le film.

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    1. A la réflexion les ellipses rendent le tout en effet un peu brouillon, mais j'étais tellement immergée dans l'histoire que ça ne m'a pas dérangée outre mesure pendant la séance. Ce n'est que maintenant que je me dis "ah, mais peut-être que ça aurait pu être tourné plus clairement", mais d'un autre côté je pense que ça contribue aussi à rendre le film plus humain, dans notre vie au fond tout n'est jamais net et tracé, on tâtonne et on perd parfois notre temps. Comme tu le dis, les idées sont très subtilement distillées au fur et à mesure, c'est ce que j'ai énormément apprécié dans ce Miyazaki par rapport à d'autres où la morale est annoncée de manière beaucoup lourde (comme dans "Le Château dans le ciel" ou Mononoke, même si ce sont deux films que j'ai beaucoup aimés également).

      De rien ! J'ai vraiment trouvé cette interview très intéressante, et j'avais très envie de la partager à d'autres fans du studio qui ne l'auraient pas déjà lue ^^

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  3. Je viens de voir le film et du coup j'ai lu ton article. Et je trouve que ton article le rend plus beau que je ne l'ai vu. Je n'ai pas aimé.. Il ne m'a rien fait , pas un petit zigouigoui dans le coeur (sauf une petite scène), la musique est très decevante pour moi (le bruit en général d'ailleurs) l'animation aussi , je n'ai pas supporté les têtes...

    Je comprend très bien ce qui fait que ce film est beau, mais je suis resté imperméable à son message je crois.. C'est triste mais je n'avais qu'une envie : que le film finisse et que je puisse partir..

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    1. Je pense que, comme tu le disais sur FB, c'est un film très personnel, et que pour peu que l'on soit un peu trop étranger à sa façon de voir les choses, on peut se sentir un peu "rejeté". Il est très différent du reste, même si, comme je le disais dans cet article, j'ai l'impression que tous ses thèmes peuvent trouver leur source dans celui-ci.
      Je suis un peu surprise sur les critiques concernant l'animation par contre, son style est peut-être un peu plus épuré que dans d'autres films mais alors j'ai été époustouflée par les dessins techniques des machines. Bon, c'est un autre univers que ce qui est généralement apprécié dans sa filmographie, c'est sûr. Mais par rapport à Porco Rosso (qui figure dans le top 3 de mes Miyazaki préférés !), l'architecture des machines est beaucoup plus poussée, plus travaillée (en tout cas, par rapport à mes souvenirs, ça me semble flagrant).
      Après, je ne sais que te dire de plus, je ne vais pas te lyncher parce que tu n'as pas aimé, tout de même ^^

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