vendredi 21 mars 2014

CLIV ~ L’envol.

Les dernières émotions les plus fortes que j’avais ressenties de mon existence apparurent alors que l’on survolait la Chine, en rentrant du Japon. Je me souviens de cette lassitude immense qui m’a envahie, ce dégoût de la vie qui allait reprendre son cours, ce vide qui s’insinuait lentement dans chaque pensée après qu’une expérience si puissante, un projet si important, venait de prendre vie et fin en un instant trop bref. 
J’ai imaginé la chute, longtemps. Plus de quatre heures durant. La fatigue du voyage, la tension causée par la peur de l’avion renforçaient ce sixième sens curieux, la perception du pire. Je sentais le sol m’attirer irrésistiblement, la machine fondre vers la terre de plus en plus rapidement, intensément ; je croyais entendre des cris, je croyais que le cœur allait me sortir de la bouche tant il tambourinait contre mes côtes, avec toute la violence dont est capable un être impuissant, brouillant ma vision, altérant mon jugement, ne me laissant sentir que la fin inévitable… Je maintenais les paupières closes pour mieux visualiser l’ultime épreuve, mais alors que j’essayais de me représenter une bonne fois pour toutes le néant commun à tout atome de pensée humaine, le cri primordial remonta le long de ma gorge, fulgurant, furieux, fiévreux ; l’instinct de survie broyait les attraits du Rien, et je rouvrais les yeux, extatique après toute cette souffrance, pour découvrir avec un émerveillement d’autant plus puissant qu’il était fragile la délicate dentelle de lumières de la nuit shangaïenne. 

Je ne conçois pas le vide. Je ne le comprends pas. L’avion n’est qu’une pâle représentation de l’angoisse plus profonde, celle de devenir insensible, de ne plus penser, sans jamais pouvoir le concevoir. Tout donner et tout reprendre, ce cruel lot attribué au mortel

J’essaie d’être reconnaissante dès que je le peux. Je souris aux étoiles, salue les fleurs, savoure l’eau chaude qui coule le long de mon dos, reste éveillée tard dans la nuit pour entendre le chant des premiers oiseaux, regarder les premiers rayons du soleil, et filer sous la couette douillette, les muscles douloureux de ma lutte contre le sommeil. Ma soif d’apprendre n’a d’égale que ma soif de contempler, mais peu de joie dans cette dernière, surtout du regret. Mon amour de vivre n’est qu’un long et déchirant adieu. Tout s’achève. 

6 commentaires:

  1. Cette façon que tu as d'écrire touche énormément...
    Je pense qu'il n'y a rien de particulier à répondre à ton article. Je pense qu'on simple " <3 " serait parfait.

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  2. Mille et unes pensées pour toi.
    J'ai toujours haïs le vide que laissent les gens dans ma vie quand ils s'en vont ou bien se taisent j'espère de tout coeur que les choses tourneront bien pour toi.

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  3. Ca me rend triste :(
    Commentaire inutile, mais je ne trouve pas d'autres mots...

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