samedi 18 juin 2016

CCCXII ~ [花 の ダイアリー ! Le journal de Hana au Japon 3e du nom] Au nord, c’était toujours le Japon

Pour mon périple, j’avais décidé de me promener entre Hokkaidō et Kyūshū, deux îles où je n’avais encore jamais posé le pied, et c’est à mon escale à Hokkaidō que je vais consacrer ce billet. J’étais arrivée à Tōkyō-Babylone le 4 mai en début d’après-midi pour la quitter dès le 6, profitant du tout nouveau shinkansen et de ses toilettes chauffantes – tous inaugurés le 31 mars – en destination de Shin-Hakodate, dans le sud de Hokkaidō, puis d’un express pour Sapporo. Ce shinkansen flambant neuf est de couleur vert d’eau, sorte de monstre au nez phallique (si, c’est flagrant) qui transperce le vent jusqu’à Shin-Hakodate en un peu plus de quatre heures. C’est impressionnant de le voir entrer en gare, encore plus que son aïeul d’argent, sans doute à cause de cette couleur inhabituelle qui en fait une sorte d’hydre prête à dévorer le zéphyr.
J’adore prendre le train, je fus servie avec près de sept heures de voyage, traversant forêts et torrents avant de longer un golfe : le Pacifique ! L’eau ressemblait ce jour-là à un lac de mercure, sans reflet ni mouvement, si ce n’est une bordure d’écume mousseuse sur de fines plages de sable terne.


Je me sentais déjà tout excitée dans la gare de Shin-Hakodate, si petite que l’on a peine à croire que le shinkansen s’y arrête. En plein air, face aux collines, le voyageur y entend de temps à autre les petites sonnettes des ascenseurs et le chant des oiseaux : c’est tout. Parfois un train passe, comme une anomalie dans un lieu si calme, et démarre dans un sifflement de vieille locomotive. S’il faisait déjà bien chaud à Tōkyō, je me retrouvais là-bas à nouveau projetée fin mars, dans la brume et le vent, ce qui n’était pas pour me déplaire. Cette atmosphère répondait fort bien à Hugo, mon seul compagnon de voyage, qui me murmurait que Booz avait « la barbe d’argent comme un ruisseau d’avril »  – ou comme un ciel de mai à Shin-Hakodate, puis-je maintenant ajouter. Seule, à près de 1 000 kilomètres de mes vagues repères en terre japonaise, je ne voulais déjà plus jamais repartir.

Sapporo n’offre pas vraiment de grâce, peut-être un peu de mélancolie ; ville sans grande histoire, fondée sous Meiji, elle paraît pleine de non-dits : non-dits quant à l’identité japonaise, qui s’écrasait subitement sous des bâtiments aux airs occidentaux, non-dits quant au sort réservé aux Aïnu, subitement colonisés, concentrés dans des camps spéciaux ; Sapporo plane dans une brise d’insignifiance.


La maison du gouvernement, par exemple, faite de briques rouges et d’un joli dôme vert-de-gris, et qui trône au milieu du centre-ville, est un bel exemple d’appropriation des bâtisses occidentales. Au milieu des bâtiments contemporains, elle apporte néanmoins un je-ne-sais-quoi de féerique, impression renforcée dans le parc alentour où les fleurs succombaient lentement sous des bourrasques glacées et une bruine insidieuse. Je regrette de ne pas avoir pu rester pour la fête du lilas, fleur emblématique de la ville, et l’une de mes fleurs préférées.


Ici, assez peu d’informations sur les Aïnu, évidemment. Un petit musée colonial d’une pièce leur est consacré dans le jardin botanique de l’université : le Japon assume ses travers d’un revers négligent de la main. J’ai pourtant bien aimé ce musée, plutôt instructif malgré sa taille réduite. Il reprend les emplacements des maisons traditionnelles pour exposer objets d’artisanat et armes de chasse, et des crânes d’animaux ornés de frisures de paille décorent un autel sacré qui fait face au foyer consacré à la divinité du Feu, Nusa, médiatrice entre les dieux et les hommes.

La tour de la ville.

Si l’architecture ne m’a guère transportée, j’ai trouvé en revanche saisissante la perspective que les avenues bardées de centres commerciaux aux néons douteux offrent sur les montagnes. Citadine depuis le berceau, habituée au plat relief de Paris, la montagne me laisse toujours profondément troublée, comme si je réalisais tout à coup la puissance du temps et la faiblesse de mon corps. C’est, je crois, la seule poésie qui peut naître de notre modernité, cette confrontation avec ce qui la dépasse sinon la réduit à néant (pas étonnant que la culture japonaise soit si populaire de nos jours). Si quelqu’un devait réécrire ce poème aujourd’hui, ce n’est plus le mythe qui s’effondrerait dans l’abîme, mais le gratte-ciel.

Pop culture jusque sur les chantiers.
Pokemon jusque dans le métro.
Mon seul achat lié aux monstres de poche, mais quel achat. Oui, c’est un Métamorph en forme d’Aquali.
La deuxième ville que j’ai visitée à Hokkaidō est Otaru, à trente minutes de train de Sapporo, sur la côté ouest du sud de l’île. Le chemin de fer passe juste sur le côté d’une falaise, juste à quelques mètres de la mer ; on pourrait étendre la jambe et y plonger le pied (… presque). Le soleil s’était levé, donnant à l’eau ses teintes turquoise aux accents de saphir, mais le vent restait glacé ; comme un avant-goût de la Russie avec des cerisiers en fleur. Sur le trajet, de petites cabanes de pêcheurs, faites de bric et de broc, s’amassent les unes à côté des autres, mais si l’on tourne la tête de l’autre côté du train, on aperçoit alors le sommet enneigé de hautes collines, et même quelques stations de ski à leur sommet. 


Otaru est vantée pour ses canaux, là encore timide copie Meiji-esque de villes occidentales. La vue sur les montagnes est belle, là encore, et provoque l’amusante illusion de se croire sur une sorte de littoral belge avec du relief. La promenade le long des canaux est agréable, même sous les bourrasques ; quant au reste… Otaru est portuaire, avec sa criée, ses docks, ses hangars…

… ses glaces…
Difficile, donc, pour qui n’est pas un peu touché par la grâce du style industriel de se sentir bouleversé par les charmes de cette petite ville, sauf, peut-être, si vous appréciez le crabe et les œufs de saumon, spécialités du coin. Mais les goélands, eux au moins, s’y plaisent bien. J’en ai aperçu des centaines qui nichaient au bord de l’eau, à pousser leur cri chacun leur tour, l’air noble sur leur rocher au milieu de l’onde. Il y a un côté Caspar David Friedrich chez cet oiseau. Autre curiosité, au milieu des échoppes de bière et de glace, un musée de peinture vénitienne (??), sans doute à cause des canaux. Canaletto à Otaru, il fallait y penser. 

Rien à faire donc, je me sentirai toujours mieux un peu éloignée de l’homme, alors pour les jours qui me restaient, je me suis enfoncée un peu plus loin dans la campagne. Les deux lieux qui suivent ont beau faire partie des plus touristiques du sud de Hokkaidō, j’ai eu la chance de n’y croiser presque personne…
Après (encore) quelques heures à rêvasser dans le train, j’ai pu aller faire une longue balade à Noboribetsu, une ville thermale où l’on peut admirer rien de moins que la vallée de l’Enfer. Un bus part de la minuscule gare pour y emporter le touriste, et à peine en descend-il qu’il semble déjà suffoquer sous les vapeurs soufrées. 

Meurs, manant !

Quelques statues et sanctuaires animent le chemin vers la montagne, dont un petit démon sur lequel on peut verser de l’eau soufrée en priant pour une bonne santé. Plus haut, après quelques centaines de mètres de marche (la randonnée est courte, j’en ai fait le tour en deux bonnes heures), le regard est saisi par une colline d’un ocre sale ponctuée de quelques taches jaunes et verdâtres, et l’odeur ajoute à l’impression de se trouver face à un amas de pourriture. La vallée porte assez bien son nom ! Plus loin encore se trouve un lac d’une trentaine de mètres de profondeur, d’où s’échappent d’amples volutes de gaz.


La couleur de l’eau, comme de plomb, est due à sa température, proche des 130 degrés. En ébullition permanente, elle bouillonne et se trouble dans de curieux gargouillis. Un escalier permet de descendre jusqu’à un petit torrent dont la pierre, là encore, est décharnée, grise, rongée par les sources malsaines…
… Suffisamment malsaines, donc, pour devenir appréciées des touristes. Si le paysage que je vous montre ici inspire la désolation, le chaos, il suffit de se retourner pour retourner à la civilisation, à ses complexes hôteliers de grossière facture, gigantesque dortoir jeté au beau milieu des portes chtoniennes. Le Japonais en vacances aime son petit confort, et je n’aspirais qu’à m’en éloigner, alors je suis partie me perdre sur le chemin du lac Toya. J’ai enchaîné marche à pied, bus, trains minuscules sans jamais parvenir à mon but, mais les rares Japonais qui me croisaient, surpris de me trouver au milieu de nulle part, me regardaient comme une aberration, ce qui suffisait à me soulager de mon humanité.

Tout petit train.
La nuit tombe vite, au Japon. À dix-sept heures, le soleil commençait déjà à se coucher, et je profitai des distributeurs de canettes et de bouteilles chaudes pour retrouver moi aussi un peu de chaleur. J’avais prévu la tiédeur du climat, pas la morsure du vent, et je me suis plusieurs fois retrouvée transie sous mon fin gilet de coton. Mais alors, quelle joie que de tenir sa petite bouteille de thé chaud ou sa canette de chocolat entre ses mains, le Pacifique face à soi, au sommet d’un village dont on ne connaît même pas le nom !

Même plus peur de photographier le soleil.
Malgré la joie que me procuraient la fugue et l’errance, j’ai obéi au programme que je m’était fixé, et j’ai fini par aller voir le lac Toya. Mes longues promenades m’ont permis d’y arriver juste après le coucher du soleil, somptueux au milieu des collines volcaniques, même si j’ai mis du temps avant de parvenir à l’admirer. Encore une fois, je me sentais déçue, presque trahie, par les immeubles hideux qui se trouvaient face au lac et autres pitreries touristiques du même niveau que le Napoléon-kun croisé il y a trois ans à Hakone.

Sérieusement…
Sérieusement… ?!
(Le Japonais en vacances a sans doute la même notion de son petit confort que moi lorsque j’avais sept ans.)
Mais le bon côté de la trahison, c’est qu’elle ne dure qu’un temps, surtout avec un lac, surtout avec le chant des vagues qui crissent sur la pierre ponce grise et mate, ou avec celui de petits oiseaux qui font pleuvoir les pétales de cerisiers dès qu’ils s’envolent de la branche d’où ils pépient.


Malgré mes regrets, voici qu’aujourd’hui encore vient le couchant de la fin du printemps.
(Vers anonymes, Japon.)


C’est l’un de ces cerisiers qui a achevé de me séduire, d’ailleurs. Il perdait ses fleurs par centaines ; des fleurs entières, dorées de soleil, qui tombaient sans attendre ni le vent ni les oiseaux, et qui se laissaient choir avec nonchalance au pied de leur arbre. Alors je me suis dit que ce n’était finalement pas si mal ici, que je jouerais bien un peu avec les pétales, et que j’irais bien tremper mes pieds dans l’un des bains chauds qui longent la digue.


Ainsi, ces quelques images ne sont pas du tout représentatives du paysage complet, mais qu’importe. Voici l’illusion que je retiens et que j’emporte avec moi.

4 commentaires:

  1. Sapporo semble si terne et triste. Où est-ce tes écrits qui me transpercent ?

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    1. J’imagine, comme souvent, que cela dépend de ce que l’on cherche dans le voyage, et j’ai vraiment de plus en plus de mal avec les grandes villes de construction récente. Peut-être n’est-ce que le reflet de ma propre mélancolie qui perce à travers ce billet.
      Merci pour tes différentes commentaires, ça me fait plaisir de te lire à nouveau ! ♥

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  2. À chaque fois que je passe sur ton blog je viens jeter un œil à ces photos que je m'étais promis de commenter. J'aime tellement me poser devant un billet de blog qui donne à penser ou à rêver, j'essaie de n'y écrire que quand j'en ai vraiment le temps, calmement. Mais pas trop calme quand même, malgré la tentation de laisser parler de belles images : elles méritent le silence de la contemplation, mais pas celui de l'indifférence, et en matière de blog ils sont indiscernables. Reste que les visions de ces contrées sont très rafraîchissantes et nul doute qu'elles susciteront des excursions futures, du moins les parties reculées — le volcanique est toujours un appât de choix. Le train est tellement mignon, je crois qu'il est encore plus petit que celui que j'ai pris alors même que je voyais d'un bout à l'autre. Récemment on m'a parlé d'un train playmobil qui serait sorti une année seulement, je suis sûre qu'ils doivent se ressembler !

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    1. C’est vrai qu’il y a un côté playmobil dans ce genre de petit train !

      Si tu as l’occasion de passer dans ces îles un peu moins visitées, oui, vraiment n’hésite pas. On est si loin de Tôkyô, et en même temps on y retrouve toujours cet aspect si… kitsch de la modernité japonaise, c’est un peu touchant. Et les paysages sont beaux (il faut que je m’occupe de Kyûshû avec tout ça, moi !).

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