mercredi 29 juin 2016

CCCXIV ~ [花 の ダイアリー ! Le journal de Hana au Japon 3e du nom] Kyōto


Te souvient-il, ô mon âme, de ce chemin obscur que nous gravîmes sans un mot ? La nuit tombait tel un couvercle d’ardoise ; l’océan d’érables éveillait en nous les subtils souvenirs de mondes où l’on élevait un sanctuaire pour le chant d’une cascade, le frôlement d’une noctuelle ou l’ombre d’une épeire… En pareil paysage, nous prenions l’empyrée pour le gouffre, le nuage pour l’écume, et ces montagnes qui grandissaient au loin semblaient de ces géantes vagues envoyées par les dieux pour engloutir cités et empires. De tout ceci, je ne distingue déjà plus le rêve de la mémoire. Privé de netteté, mon esprit ne se fie qu’aux intuitions ; mais avec le temps celles-ci s’altèrent pour se fondre en chimères expirantes. La brume amplifie l’univers et rapetisse l’homme.


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Je n’ai passé cette année qu’une seule journée dans l’ancienne capitale, curieusement si chère à mon cœur. Si je ne peux me passer ni de la ville ni de la campagne, Kyōto unit les deux dans son mystère, et je m’y sens bêtement comme chez moi ; Paris coule dans mes veines, mais mon cœur est à Kyōto. Je me sentais donc, on l’imagine aisément, très enjouée en arrivant, d’autant que je retrouvai dès le matin messalyn et sa famille. Sans nous être vraiment mises d’accord, nous sommes parties au Japon au même moment, sans toutefois nous trouver dans les mêmes villes en même temps, mais en réussissant à nous ménager quelques balades ensemble. Ainsi, nous devions nous retrouver pour boire le thé à Kyōto : cela commençait plutôt bien. Nous nous sommes rendues à Ippodo, une fameuse maison de thé du centre-ville, où j’ai pu goûter plein de choses fabuleuses, comme le shincha (littéralement « nouveau thé », qui ne m’a pas vraiment plu à la dégustation tant son goût était étrange, mais qui m’a hantée par la suite. Son arôme était surprenant, un vrai goût de bourgeon et de sève). Ma deuxième dégustation s’est portée sur un matcha incroyable. Sa couleur paraissait proche de celle des épinards, et sa consistance était complètement crémeuse. La première bolée ne donnait droit qu’à deux petites gorgées de cette sorte de pâte qui adhérait aux parois de son contenant, il fallait donc les savourer. Le goût était, lui aussi, d’une façon assez surprenante très proche de celui de l'épinard : à vrai dire le terme qui me paraît le plus juste pour le qualifier est vert ; si la couleur verte était une saveur, ce serait celle de ce matcha. Après avoir bu la première préparation, il fallait la délayer dans du hojicha, et elle se transformait alors en ce breuvage céladon plus classique qui, tout en étant exquis, ne portait ni la perfection ni la noblesse des premières gorgées. Je me souviendrai longtemps de ce philtre des nymphes extrême-orientales…

La bête.
Kyōto était décidément la ville des rencontres car Clafou-Chloé nous a ensuite rejointes, et toutes ensembles nous nous sommes rendues au Fushimi Inari (où furent prises les premières photographies qui illustrent ce billet). Je ne m’étais encore jamais rendue dans ce sanctuaire célèbre pour ses milliers de portiques orange vif, l’affront est désormais réparé : une brochette de dangos plus tard, j’étais prête à me laisser émerveiller. Le parcours fut aussi mystique que j’avais pu l’imaginer, dans une ambiance de nuages et de brouillard, très humide et douce.

La vue sur Kyōto depuis la colline du Fushimi Inari.
Au pied du premier portique, la foule était compacte, entre touristes et voyages scolaires, mais arrivés un peu plus haut, ceux qui ne comptaient prendre que quelques photos étaient déjà redescendus. Tant pis pour eux, tant mieux pour nous. Après une autre montée, notre petit groupe se scinda en deux, et Chloé et moi continuâmes l’ascension jusqu’au sommet. Pendant quelques minutes, nous nous sentîmes seules au monde. L’atmosphère était idéale ; le ciel bas, la forêt sombre, et la couleur vive du bois peint venait réveiller la brume alanguie. Contre les piliers se reposaient chenilles et araignées. J’imaginais déjà les chrysalides écloses, et les papillons de nuit voleter tout autour des statues de renard qui ponctuaient le chemin, et si Hokkaidō était pâle et rose, Kyōto vibrait de rouges et de verts. Seuls les escaliers glissants me distrayaient de mes rêveries et des jeux de lumière entre les feuilles.
En descendant à notre tour, nous trouvâmes une petite cascade pour nous rafraîchir, mais aussi une échoppe qui proposait du thé et des œufs durs. La température du thé était parfaite, et ce dernier était accompagné de yukon et d’un petit gâteau gaufré fourré à la pâte de haricot rouge. Chloé et moi discutâmes de nos vies respectives et de ce qui fait la beauté du monde. Quel meilleur endroit qu’un sanctuaire et quelle meilleur boisson qu’un thé, à Kyōto, pour accompagner des confidences qui ne se feraient nulle part ailleurs ?


Enfin, pour terminer la journée, et avant de rejoindre messalyn pour le dîner, nous nous sommes un peu promenées et (surtout !) nous sommes allées nous reposer dans un bar à chats pour voir Bob le Chat et ses compagnons.

Bob, le patron de la boîte, a l’air sympa.
Mais s’il vous plaît, ne dites pas à mon chat que loin d’elle je vais dans ce genre de bars…

4 commentaires:

  1. Vous étiez à Kyôto et vous n'êtes pas passée me voir ! Je suis déçue !
    Très bel article, j'admire toujours votre écriture.

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    1. Ah, je suis impardonnable ! Pour ma défense, je ne suis passée que très brièvement, mais la prochaine fois que je viendrai (car je reviendrai), je vous tiendrai au courant sans faute !
      Merci beaucoup pour votre compliment, il me touche beaucoup.

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  2. Je pense que si les plans du lieu avaient été moins trompeurs, nous aurions pu rester avec vous au lieu de se perdre en ville. En écho à ton thé, j’ai eu un McFleury au matcha, désespérées que nous étions d’avoir accès à du wifi… En tout cas aujourd’hui, j’écris sur cette ville aussi, il est temps !

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    1. Et aujourd’hui je te réponds, il était temps aussi… Et il me reste encore tout Séoul à disséquer, rien que ça !

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