mardi 26 juillet 2016

CCCXIX ~ [Interlude] 한국애가요!

L’an passé, je prévoyais de partir au Japon pour un an au moins, espérant profiter d’un pied-à-terre pour visiter d’autres pays plus facilement accessibles depuis les terres japonaises. Finalement, il en fut autrement, mais je regrettais de retourner en Asie sans découvrir autre chose que ce que je connaissais déjà un peu. Alors, je suis partie en Corée (enfin, à Séoul plutôt). Quatre jours.

Le 12 mai dernier, j’ai donc quitté Kyōto en train pour aller prendre le bateau à Fukuoka. L’avion est certes plus rapide et pratique, mais l’idée d’arriver en Corée par la mer me paraissait terriblement romantique (on ne se refait pas. Et puis, j’ai peur en avion). Shinkansen à Kyōto, bateau navette à Fukuoka et KTX (le train express coréen, jumeau de notre TGV) à Busan : partie dès huit heures du matin, j’arrivai dans ma chambre d’hôtes à 22 h 30, plutôt circonspecte après avoir passé mes trois dernières heures de voyage à subir des publicités pour le tourisme médical et la chirurgie esthétique, mais malgré tout excitée comme une enfant.

Je n’ai pas décollé mon nez de la fenêtre de tout le voyage.
Un peu sonnée au réveil le lendemain matin, il m’aura fallu un peu de temps pour m’habituer à Séoul et son métro. Je n’ai fait que me perdre pendant toute une matinée, ce qui m’aura tout de même permis de traverser le fleuve Han (plus large que le Danube, il m’aura fallu une bonne vingtaine de minutes pour passer le pont) et de découvrir des zones résidentielles moins touristiques que le centre de Séoul (mais architecturalement plutôt inintéressantes). J’ai eu du mal à trouver de quoi manger en revanche, le boui-boui coréen n’est pas fait pour les végétariens, mais j’ai tout de même réussi à m’en sortir en demandant des bibimbap sans viande. Sauf une fois où la serveuse m’a mal comprise et m’a apporté un bol de bouillon de tripes (j’en ai encore des frissons).
J’avais appris quelques rudiments de coréen avant de partir, dont l’alphabet qui est un régal à assimiler lorsque l’on se débat avec les kanjis, mais les Séouliens parlent très bien anglais, donc je n’ai pas vraiment eu besoin de m’en servir. Baragouiner le coréen avec un accent affreux m’aura juste permis de me faire mousser auprès des commerçants qui m’étaient sympathiques (je l’avoue sans trop de honte). J’avais surtout remarqué que l’une des voyelles coréennes est à mi-chemin entre le O et le A, comme cette utilisation que le russe fait parfois du O et que je n’ai jamais vraiment comprise. Les Coréens, au moins, ont eu l’intelligence de créer une lettre spécialement pour ce son, contrairement aux Russes qui dansent de l’un à l’autre en fonction des accents toniques, cauchemar du béotien !

Bref, j’ai donc tourné en rond pendant plusieurs heures à la recherche d’un restaurant végétalien dont j’avais entendu parler (qui avait en fait mis la clef sous la porte), entre rues perpendiculaires, jeunes mères qui sortent leur nourrisson, laveries, et… boutiques de cosmétiques. Je savais déjà plus ou moins que la Corée était une mine d’or pour qui apprécie maquillage et soin de la peau, mais pas à ce point. Peu importe le quartier, il y aura toujours un Etude House, Missha, It's Skin, Tony Moly… pour vous accueillir, et ce jusque dans le métro.

Je suis rose, je suis mignonne, et j’en veux à ton compte en banque.
J’ai tout de même (heureusement !) fini par arriver à mon deuxième point de chute, le Jogye-sa, temple bouddhique du 14e siècle et l’un des rares monuments anciens de la ville. J’eus la chance d’arriver le jour de l’anniversaire du Bouddha, la plus grande fête célébrée ici, et donc de découvrir l’endroit décoré de toutes parts !

Une scène faite de papier, à l’entrée du temple.
Des lanternes partout…
…jusque dans les branches du pin cinq fois centenaire qui se trouve dans l’enceinte du temple.
Je n’ai pu jeter qu’un coup d’œil rapide à la salle de prières, où se trouve un gigantesque Bouddha fait d’or. La foule s’amassait de plus en plus et je finis par sortir rapidement, le souffle un peu court. Mais au moins, les rues étaient vides ! J’ai visité de tout mon soûl l’un des quartier de hanoks de la ville, les hanoks étant les maisons traditionnelles coréennes. Elles se suivent les unes les autres dans les pleins et les déliés d’une petite colline (car Séoul n’est presque que pentes), et la façade de certaines d’entre elles est si jolie qu’un écriteau précise : no pictures please. Les toits, en bois, ont une forme en pagode, tandis que les murs extérieurs sont en pierre. À l’horizon se dessinait le feuillage des collines dans la lumière mordorée du couchant, c’était vraiment charmant.
Peu de natifs habitent dans ces maisons, transformées généralement en petits hôtels, en salons de thé, ou en musées pour les touristes. De ce que j’ai compris, elles échappent difficilement à l’envie dévorante de Séoul d’être considérée comme une métropole résolument moderne, où le passé n’a pas sa place, et ce sont surtout les étrangers qui se battent pour les préserver ; on les laisse debout parce qu’elles font tourner le tourisme. La Corée est assoiffée de compétitivité dans tous les domaines, même architecturaux, et l’on comprend qu’il soit difficile d’être nostalgique dans un pays à l’histoire récente si dramatique – bien que je sois toujours agacée à l’idée que des personnes étrangères à une culture viennent donner des leçons de conservation. C’est donc en réfléchissant vaguement à l’idée de patrimoine mondial que j’errais le long des ruelles, avant de me laisser subjuguer par quelques silhouettes en hanbok qui passaient, elles aussi, se promener.

Silhouettes dont j’ai essayé de garder la trace de la façon la plus discrète possible : photographions la rue, tiens !
J’avais déjà eu l’occasion de voir des femmes en hanbok, car l’épouse de l’un de mes cousins étant coréenne, certaines personnes de sa famille portaient leurs vêtements traditionnels lors de son mariage. Mais c’est une chose de les voir lors d’un vin d’honneur, c’en est une autre de les voir déambuler dans les rues de la capitale de la Corée du Sud. Ce sont principalement les jeunes gens qui en portent lorsqu’ils sortent en couple ou entre amis dans les temples ou les anciens palais impériaux, et c’était un tel plaisir de les voir marcher… Le hanbok apporte tant de grâce à la silhouette (et pourtant ce n’était pas gagné avec des vêtements qui mêlent la taille empire et une jupe légèrement en cloche) ! La robe flotte à terre comme la corolle d’une fleur qui s’entrouvre, et danse au gré des pas comme des pétales au gré du vent. Cette soie si joliment brodée, cette petite veste qui met si bien l’étroitesse des épaules et de la taille en valeur ; non, vraiment, tout me séduit. Et je n’ai pas pu m’empêcher de rire à ce mot si cliché sur l’Asie entre tradition et modernité en voyant que la grande majorité de ceux qui portent le hanbok le portent… avec des Converse.


Évidemment, il me fallait prendre un thé dans le coin.


Je me suis décidée pour une infusion de feuilles de lotus, en hommage au Bouddha (et puis parce que nénuphar, zut !). Le service était minuscule, la théière à peine plus grande que la paume de ma main ! Il se constituait, comme vous pouvez le voir, de la théière où étaient placées les feuilles, d’une minuscule carafe où l’on posait le filtre, dudit filtre, de deux soucoupes pour poser filtre et couvercle, et enfin d’une minuscule tasse. L’eau, servie dans un Thermos, se versait dans la théière pour une infusion de 30 secondes seulement, avant d’être versée dans la carafe le temps qu’elle refroidisse, puis dans la tasse pour être bue. Cet ingénieux système permet de gérer la chaleur du breuvage tout en préparant parfaitement chaque infusion. La grande théière est vraiment une hérésie, parfois !
Le gâteau qui accompagnait tout ça était un gâteau de riz au potiron, un peu gluant et délicieux. Les deux se complétaient à merveille, l’infusion de lotus portant une saveur légèrement sucrée et grillée. La cadre était superbe, et une radio diffusait une mélodie traditionnelle avec quelques touches de jazz. Le rêve ! J’aurais pu y rester des heures, et j’en ai profité encore mieux grâce au fiasco de la matinée. Comme quoi !

La vue sur ma gauche.
Après une dernière petite promenade autour de la maison de thé, je me suis dirigée vers ce qui reste aujourd’hui mon coin favori de Séoul, le Cheong-gye-cheon, une rivière souterraine rendue à la lumière du jour après de grands travaux, et dont la vue rafraîchit bien mieux que le titanesque Han (je ne l’ai pas précisé, mais il faisait près de 30 degrés lors de mon passage en Corée). La rivière est bordée d’arbres et de fleurs, et des sortes de gros cailloux lui apportent un peu de dénivelé, créant des rapides agréables à la vue et des glouglous agréables à l’oreille. J’aime vraiment ce genre d’ambiance urbaine, le cours d’eau au milieu des gratte-ciel ; c’est tout à fait l’image que je me fais d’une grande ville de roman d’anticipation.

À l’une des extrémités de la promenade se trouve cette curieuse statue, qui s’illumine la nuit.
Puis, une canette de thé au lait plus tard, plutôt fatiguée par une dizaine d’heures de marche, je suis rentrée me coucher.
Un seul point négatif dans cette belle journée : les gens. Vraiment, je ne sais pas ce qu’il s’est passé. J’attirais l’attention des Séouliens, ce qui me semblait plutôt prévisible (touriste occidentale, femme, toute seule de surcroît dans ce pays où le groupe est la norme), mais alors l’attitude des autres touristes fut fatigante. Jamais je ne me suis autant fait zieuter et aborder que ce jour-là, je n’en pouvais plus. Entre les types qui voulaient absolument savoir si je m’habillais comme ça tous les jours et toucher mes vêtements, ceux qui commençaient leur drague du type « je ne vous ai pas déjà vue dans un film/dans mes rêves etc. », celui qui me sort « Je suis Serbe et donc complètement taré, je suis sûre que tu es du genre à être un peu tarée toi aussi », et même une anglo-saxonne qui a commencé à m’insulter en voyant que son copain lorgnait un peu trop vers moi, c’était éreintant. Je ne sais pas vraiment à quoi attribuer ça, je portais une simple robe longue des années 1970, pas de quoi fouetter un chat, mais alors en arrivant dans ma chambre, j’ai ressenti le poids d’une solitude que j’avais rarement ressentie. La touriste seule est rare, alors tous les hommes en rut se précipitent sur la première qu’ils trouvent, sans doute ? Quelle tristesse lorsque certaines personnes ne cessent d’apporter du crédit à des préjugés qu’elles feraient peut-être mieux de combattre.

6 commentaires:

  1. des hanboks avec des converses. Comme c'est curieux !

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    1. Très, oui. Mais en même temps, Séoul est une ville tellement pentue que je comprends tout à fait le choix du confort !

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  2. Merci beaucoup d'avoir partagé ton "escapade" à Séoul ! C'est vraiment original d'y aller en bateau et de découvrir la côte au loin ! :)

    J'aime beaucoup le hanbok aussi, cette façon de cacher la taille et de donner une silhouette flottante à la femme. Il dérive par ailleurs d'une des formes de Hanfu chinois :)

    L'épisode sur ta balade dans les vieilles rues et le thé était mon préféré !

    Dommage que l'histoire se termine sur des incivilités que je n'aurais jamais crues possibles ! Les gens sont fous ! Et c'est même pas une seule personne, mais bien plusieurs qui t'ont "agressées", je n'en reviens pas ! :(

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    1. Oui, cela faisait longtemps que j’espérais découvrir un pays inconnu pour moi en bateau !

      Je ne savais pas du tout pour le Hanfu ! C’est intéressant, merci ! J’ai de grosses lacunes en ce qui concerne la culture « classique » chinoise, tu me donnes envie de m’y intéresser un peu plus.

      C’est mon épisode favori aussi, même si, finalement, il n’est pas très représentatif de la ville aujourd’hui. Mais après tout chacun se crée sa propre expérience de voyage !

      Eh oui, et la fatigue du voyage n’aidant pas, j’étais vraiment gonflée à la fin de la journée. Heureusement ça ne s’est pas reproduit par la suite.

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  3. Toutes ces couleurs, ça donne envie d'y retourner ! J'avoue que j'ai été un peu perdue quand j'y étais d'autant que je ne connaissais pas du tout. En tout cas, c'est un plaisir de te lire.

    Je suis désolée pour les incivilités de fin de journée dont tu as été l'objet. Je me demande, si pour certains, le fait d'être touriste libère un peu plus la connerie au fond d'eux.

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    1. J’ai mis du temps avant de me repérer aussi. Entre la barrière de la langue, la grandeur de la ville… Pas évident. Mais c’est un beau voyage !

      Je pense aussi. En vacances, le cerveau se met en repos aussi, comme s’il y avait un interrupteur pour la civilité…

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