lundi 22 juillet 2013

CXI

Parfois, lorsque je rêvasse, je me prends à trouver des liens entre les modes orientalistes du XIXet ce « japonisme » qui touche le monde occidental depuis plusieurs générations, et plus particulièrement la France. L’intérêt de ce pays pour le Japon n’est pas récent, il date lui aussi du XIXe , d’une vague de relations politiques, économiques et culturelles instaurées par le Japon sous l’ère Meiji, la fameuse ouverture sur le monde d’un pays qui s’embourbait dans un système obsolète et instable. J’ai trouvé en farfouillant sur Internet un article sur l’amitié franco-japonaise qui date de 1962, qui glorifie la France des deux Révolutions, politique et industrielle, comme le noyau incontournable de la civilisation occidentale.

Les Romantiques ont vomi ce monde nouveau qui semblait si envié ailleurs, cette émergence d’une bourgeoisie avide de reconnaissance après être restée des siècles à courber le dos face à la noblesse. Ils ont voulu rejeter le vide du commerce pour le commerce, de l'amas comme dessein principal de l’existence, de la petitesse, la bassesse d’une vie basée sur la seule matière en invoquant la nostalgie du passé et la recherche d’évasion. L'Orient des pyramides et du Saint Sépulcre attirait, unissant en son sein des millénaires d’histoire et le bouleversement d’un mode de vie si différent de celui « à la française »…
Tout y était permis, on contemplait des paysages à couper le souffle en couchant avec des fillettes glabres et des esclaves noires, on tombait malade en buvant l’eau et en avalant des nourritures trop épicées, on incrustait son désespoir d’homme civilisé dans chaque chemin, chaque pierre, fuyant les bandits à dos de chameaux et les maris, jaloux d’un regard trop insistant. L’aventure, donc, avec les paradoxes qu’elle comporte, pour ces hommes en quête d’identité qui ont retrouvé la fierté d’être français sur un sol étranger (et peut-être pour la perdre sitôt rentrée, fugacité du voyage oblige !).

Avec les échanges commerciaux franco(et européens, n’oublions pas le reste de l’Europe non plus !)-japonais, toute cette littérature romantique arriva sur les terres japonaises, et passionna une jeunesse en quête de repères avec la révolution socio-politique qui remuait leur pays. L’exaltation des sentiments romantique, le nihilisme d’un Schopenhauer dont certains aspects se marient si bien avec le bouddhisme, le chamboulement des textes marxistes ont fermenté dans l’esprit de la nouvelle génération d’artistes et d’intellectuels, rendant possibles les écrits d’Akutagawa (et son destin tragique) ou de Sôseki. La poésie japonaise teinta son détachement du monde d’un cynisme sur la race humaine de plus en plus sévère.
De notre côté, nous nous fascinions pour l’exotisme, les objets artisanaux, le style pictural ; qui a inspiré qui pour les motifs stylisés de l'Art nouveau ? Toujours est-il que nos deux civilisations ont toutes deux excellé dans cette forme picturale.

J’ai l’impression que, pour notre générations, le rapport s’est inversé. Les Japonais voient dans la France cette terre d’élégance aux bonnes pâtisseries et aux femmes soignées et bien mises, caractéristiques qui furent les nôtres plusieurs siècles auparavant et qui continuent de faire notre réputation, plus à tort qu’à raison. La France qui fait rêver est désuète, tout comme l’était cet artisanat traditionnel à l’heure du charbon et de la vapeur. A présent que le Japon a assimilé tous les caractères propres aux puissances libérales, à fortiori depuis la défaite de 1945, la France est une terre de loisirs, d'esthétisme, d’histoire raffinée (la fascination nippone pour Marie-Antoinette en est un exemple flagrant, à mon avis) et plus uniquement de recherche intellectuelle presque vitale pour la survie d’une génération. Le Japon a tout ingéré pour le recracher à sa façon, mélangeant les influences et les styles, surtout dans sa culture jeune et populaire. Le lolita fait partie de ces curieux rejetons, mélange improbable de culture rococo et punk, idéologies contradictoires qui cohabitent sous les froufrous. La poésie se recherche dans un ailleurs fantasmé, onirique… Un peu comme nos Romantiques occidentaux, 170 ans auparavant (en sans doute bien moins productifs littérairement, mais il faut pardonner ici ma fascination et mon obsession pour Flaubert).
Et, miroir parfait d’une époque aujourd’hui révolue, l’Occident, et surtout la France si j’en crois de vieux articles que j’ai lus il y a plusieurs années (peut-être la situation a-t-elle changé d’ici là, me fier à de vieux on-dits n’est sans doute pas très intelligent de ma part), est un fervent consommateur de culture japonaise, pour combler, à mon sens, un vide artistique et culturel flagrant de notre côté du monde. A titre personnel, je vois bien plus de potentiel poétique et artistique dans Sailor Moon, (qui, malgré tout l’amour que je porte à ce manga, est tout de même loin de valoir un Flaubert – encore lui), que dans nombre de best-sellers français. Que dire d’un Marc Lévy ou d’un Frédéric Begbeder, sinon qu’ils sont de parfaites traces sociologiques, mais de piètres sources artistiques ? La jeunesse contestataire japonaise, comme le furent en leur temps les Romantiques, vient peupler notre âme de pistes de réflexions plus ou moins subtiles sur l’honneur ou les relations humaines, et en affirmant la force de l’individu, et soulagent un peu notre peur de la noyade dans une société qui nous ressemble si peu.
Le héros Romantique est un éternel adolescent, qui se focalise sur ses peines, ses désirs, ses craintes (et  en oublie souvent de réfléchir. Sérieusement, j'abhorre Werther), on s’emporte avec lui, et surtout on se sent, comme lui, en décalage avec l’autre. L'excentricité de la culture pop nippone, qui choque tant l’opinion bien pensante (de toute façon ils ne sont pas nets ces japonais, avec la bombe qu’ils ont pris sur la tête) devient une armure, sinon une menace. Pour reprendre l’exemple du lolita, son armure et son épée érigées comme pièces maîtresses dans certains textes emblématiques du style, cités trop souvent à tort et à travers, prouve la faculté de combat. On est différents, sinon meilleurs. On se bat pour des causes justes, souvent soi-même. La culture européenne manque de héros. Les comics et les mangas en offrent à foison. On s’évade dans un loisir plus gratifiant que les médiocres discussions des autres.

Mais le Japon, poussant le libéralisme américain à son paroxysme, est une terre de consumérisme. Les modèles héroïques se multiplient et les produits dérivés deviennent une nouvelle façon d’ériger un temple. Parfois je me regarde chercher frénétiquement une figurine, un vêtement, et je me sens terriblement vide. Cet univers qui nous remplit de vagues rêveries n’est pas suffisant pour nous construire, car on n'accomplit rien par la seule force de l’imagination. Ceux qui se gorgent de culture pop japonaise ont trop souvent construit leur propre autel sur du néant, ou, pardon, de l’accumulation. Le japonisme tel qu’il est vécu par la jeunesse française nous propose un univers merveilleux qu’il détruit de lui-même, parce qu'il suppose se différencier des autres par des moyens matériels. Aimer le Japon, c’est s’échapper et s’approprier une culture que l’on juge plus spirituelle, supérieure à cette masse franco-française sans intérêt, et se complaire dans cet amour de la différence, tout en rejetant celle de l’autre…
J’aime la cohérence, et ce que je souhaite montrer par l’apparence, je souhaite l’être en moi-même également. Rejeter la médiocrité par une coquille vide ne signifie rien. Par le mépris égocentrique non plus.
Heureusement il existe quelques illustrateurs, photographes, modèles/muses qui savent dépasser l’aspect purement matériel pour proposer quelque chose de plus intéressant. Sinon, tout serait si désespérant…

Bref, dans moins de 7 heures je pars pour Tôkyô. C’est une quête de plusieurs années qui va y trouver son terme. Chercher l’essence de ce qui me plaît visuellement. J’espère en sortir différente. Ou, au moins, grandie.

P.S. : Avant de m’en aller, je voulais vous recommander un livre magnifique, La Mort volontaire au Japon de Maurice Pinguet, qui décrit à travers la manière d’appréhender le suicide l’évolution des mentalités japonaises à travers les siècles.

P.P.S.: Bon, c’est de la faute de Clafou, mais j’écoute ça depuis une semaine, alors zut. Attention, le clip fait très mal aux yeux.

2 commentaires:

  1. Pour moi l'exemple le plus flagrant de liberté et d'échange dans l'inspiration est Vincent Van Gogh.
    Cet homme qui a toujours refusé que sa peinture soit soumise à des lois académiques puisaient ses inspirations partout. Quand le Japonisme (début 19ème) arrive en France, on l'impression que le peintre trouve "enfin" d'autres êtres qui le comprennent et voient sa peinture telle qu'elle doit être.


    Après ce que je dis n'a sans doute rien à voir

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    1. C'est dans le thème ! Je trouve amusant comme il y a eu un réel échange à cette période-là, entre les artistes occidentaux qui ont trouvé une nouvelle source de techniques et de couleurs, et les Japonais qui eux ont découvert un courant artistique et philosophique qui a révolutionné leur système de pensée...

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