mercredi 1 avril 2015

CCXXIII ~ Herbier aquatique : Mnêmosynê



Certaines nuits sans étoiles où l’on flâne, content du jour qui s’achève, face à la mer silencieuse, le regard balaie gaiement l’immensité aquatique et s’effraie de n’y trouver que le vide. L’eau repose, indolente, sans écume pour l’adoucir, sans ressac pour l’animer. La plénitude marine, miroir des humeurs célestes, envoûte lorsqu’elle s’obscurcit ; du ciel ou de l’océan on ne peut deviner la limite. Seul le noir règne en maître, de sa profondeur opaque qui semble démontrer l’impuissance de la matière : que l’on y tombe, et la chute deviendrait éternelle ! Mais ce puits a le goût du sel.
L’œil cherche un récif amical pour revenir de cette odyssée dérangeante, où chaque seconde creuse entre les côtes une angoisse voluptueuse dont on aimerait se détacher sans chercher à y parvenir. Ce combat singulier donne au monde une saveur épique ; la bise devient bourrasque, le rire du passant tonnerre, et les battements de cœur annoncent le galop de l’Apocalypse. 
Mais l’esprit pétrifié par les abysses entend parfois, s’il se montre suffisamment subjugué, un chant se glisser hors du gouffre, et, s’il l’écoute attentivement, il parvient à saisir un reflet qui danse mystérieusement à la surface du miroir pourtant toujours obscurci.
Dans cette chimère à laquelle il s’agrippe, il devine la brume d’un vague souvenir, d’un frôlement, d’une parole, et son souffle s’accélère. Le reflet ondoyant se détache au centre d’un zénith indéfinissable, prend une vague forme humaine, et dépose ce qui semble être sa main contre son oreille. L’esprit a compris, par la force d’une libération qu’il ne parvient à saisir, et murmure dans le cône éthéré le Verbe oublié et soudain retrouvé par la grâce d’un astre émergeant du chaos.
Mais le phare de la falaise attenante s’illumine, fauchant le spectre ; le miroir, à nouveau poli par cette flamme inattendue, perd toute menace et toute profondeur, redevenant mystérieuse surface écumante. L’esprit est revenu en lui, mais le geste de Mnêmosynê y a dessiné un ordre nouveau, tendre victoire sur le Silence et la vaine mélancolie. La rêverie a sublimé l’essence et l’idée, et face aux gris des eaux il s’exclame, ivre de joie : « C’est donc cela, être vivant ! ».



~~~

Voilà de longues semaines que je voulais poster ces quelques photos qu’Alexandra Banti avait prises avec son appareil argentique lors de notre séance ensemble, et je reçus l’illumination lorsque la figure de Lêthê prenait peut à peu forme dans mes gribouillages. Lêthê, qui s’offre au premier regard, et Mnêmosynê, lueur qui sourde de la noirceur des eaux… Depuis que je suis gamine, l’oubli et la mémoire fonctionnent pour moi comme un couple inséparable, et la blancheur naïve de Lêthê appelait le grave savoir de Mnêmosynê. La douce ignorance face à la parole juste : ce double-concept est si riche ! Car comme il est écrit dans le quatrième arc de Sailor Moon : « La lumière appelle les ténèbres et les ténèbres appellent la lumière » (si, si).

(Sans rire, il existe une sailor Léthé et une sailor Mnémosyne, et sans rire, elles ne sont pas totalement étrangères à la façon dont je conçois l’inséparabilité de ce duo.)

(Et je vais m’arrêter ici à présent, j’aurai bien le temps de vous parler de Sailor Moon une autre fois.)

(Oui, c’est prévu.)

4 commentaires:

  1. Les deux première à l'argentiques sont particulièrement belles, c'est très plaisant d'avoir les versions numériques et argentiques sur une même série, je crois même que j'ai une petite préférence pour le coté plus brut des argentiques ♥ Et au passage, merci pour la découverte musicale, j'adore savoir ce que les gens écoutent, surtout quand c'est susceptible de me faire découvrir plein de jolies choses :)!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'aime beaucoup également montrer ces deux facettes d'une séance lorsque l'occasion se présente, argentique vs numériques offrent vraiment des lectures différentes d'un même état d'esprit, c'est fascinant ! Je ne saurais dire laquelle des deux parties je préfère, tant elles me paraissent dissemblables, mais en revanche j'ai un réel coup de cœur pour ce qui se dégage de la première photo ; on distingue les yeux sans les distinguer, le grain est fantomatique, elle est très puissante, je trouve.
      Merci pour ton commentaire sur la musique, tu n'imagines pas à quel point il me fait plaisir ! J'ai l'impression d'avoir une culture musicale très pauvre, parce que j'ai tendance à m'amouracher d'un morceau pour l'écouter en boucle pendant des semaines, ce qui me prive de beaucoup de découvertes... Je suis une monomaniaque musicale. Du coup, quand je réussis par miracle à partager certaines choses avec mes amis proches, je me sens vraiment heureuse !

      Supprimer
  2. Je suis d'accord, la première photo a vraiment de la présence, ce qu'on distingue des cheveux me rappelle mes velléités de photos avec des algues sur lesquelles je fantasme à chaque fois que je m'approche de la mer. Oui c'est une perche (du Nil). Comme d'habitude j'ai encore plus aimé le texte, auquel je ne trouve rien de particulier à redire même en essayant de me rendre utile. Deux phrases trop longues pour un souffle unique, peut-être — et encore.

    Sinon au passage cela fait longtemps que je pense à des eaux noires baignées par la lune en passant sur ton blog, un cliché hanaesque s'il en est, mais j'ai eu il y a peu une idée d'illustration dérivée de mon concept fétiche qui pourrait s'y apparenter (sans surprise ce concept étant né des eaux il y a quelques années mais seulement récemment pensé en terme d'illustration ou motif et plus uniquement bande-dessinée). Cette idée n'a pas fini de ricocher entre nos univers, si tu me pardonnes le spoiler.

    Je suis pareille que toi au niveau de la musique, on a pas les mêmes goûts mais le coup du morceau unique en boucle des semaines c'est un classique. Iamamiwhoami est mon exception qui confirme la règle dans mes goûts tournés vers le passé, le seul projet musical que j'ai apprécié alors que c'est encore en cours et en train de sortir. Mais il faut dire qu'ils ont su trouver les moyens de me séduire avec leur fa!on étrange de se faire connaître. J'ai réçu hier mon CD manquant.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Les phrases trop longues sont mon grand écueil. Tout comme la respiration, en fait.

      Et je pardonne le spoiler, j'espère que tu auras l'occasion de travailler cette idée, parce que je suis une grande égoïste qui sait qu'elle aura bien du plaisir à voir le résultat.

      J'ai reçu mon CD également, (Bounty, au fait, un spoiler sur le début de mail qui dort depuis 3 semaines dans mes brouillons), pas encore eu le temps de l'écouter comme je l'aime. Ces derniers jours, je rentre chez moi presque uniquement pour dormir...

      Supprimer

Transparent White Star