vendredi 21 août 2015

CCXLVI ~ Un soir, au mois d’août.


Je veux créer des bijoux avec des morceaux de poupées, surtout des mains, des doigts, peut-être des yeux et des pieds, comme ces superbes pendentifs de Silver Star. Et des os, et de petits squelettes…

Avec, bien sûr, le but ultime, le bijou Art nouveau.
Il m’est de plus en plus difficile de concilier mes envies esthétiques avec le vêtement : j’en veux toujours plus. J’ai besoin que mes vêtements racontent quelque chose, par un imprimé, une broderie, que sais-je. Je suis prise d’une frénésie de dentelles, de perles, et de fleurs de soie, pour tout m’approprier ; je regarde ma penderie, rajouterais bien un motif ici, une fronce là ; avec le chemin que prend l’évolution de mes goûts, à trente ans (et encore !), la robe à la française me guette. Et exister, au fur et à mesure que la vie se révèle pleine d’attraits, devient de plus en plus compliqué. La liste des possibles ne fait que s’allonger ! Comment suis-je censée suivre, avec mon métabolisme de mortelle ?

Costume pour Neigilde de Jean Lorrain.
Si l’on est rigoureux, tout devient prétexte à l’exacerbation de la rêverie. Une tisane. Une étoile. Un vêtement, donc. Je regarde ma penderie, et je la trouve désespérément plate, sans doute parce qu’elle n’est que trop le reflet de ma vie quotidienne. Comment devient-on l’incarnation de la fuite ? Comment, tous les jours, se muer en astre ?

(Robe Valentino à gauche, début des années 30 à droite.)

« Car je n’ai pas vingt-cinq mille francs de rente, moi, et je prends le tramway, tout comme mon concierge. Hé bien ! Cette perspective de cohabiter, ne fût-ce qu’une heure par jour, avec des hommes à tête de pourceaux et des femmes à profil de volailles, hommes de loi pareils à des corbeaux, voyous aux yeux de loups-cerviers et trottins de modistes à face aplaties de lézards, cette promiscuité forcée avec tout l’ignoble, l’innommable de l’âme humaine remontée soudain à fleur de peau, cela est au-dessus de mes forces ; j’ai peur, comprends-tu ce mot ? J’ai peur ! »
Jean Lorrain, Le Possédé.

Ah ! Qu’il est dur de composer avec les impératifs de la modernité, du confort, de la routine. Alors que la vie, finalement, pourrait n’être que cela :


Mais les méduses ne connaissent pas la poésie. C’est ce qui me sauve de l’envie d’être constituée à 99 % d’eau. Je me console, aussi, en me disant que je suis bien chanceuse, car mon quotidien se compose de personnes capables de remonter plusieurs étages en trombe juste pour déposer au creux de mes mains une superbe araignée.

Je continue de croire que la beauté niche partout, même dans les tramways, mais qu’il faut savoir s’en montrer digne. C’est bien là le plus ardu.

Au moins, je sais à quoi vouer mon existence.

Et en cette fin de semaine, je broderai sans doute beaucoup de perles.

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Transparent White Star