jeudi 5 novembre 2015

CCLXVI ~ Débora



Assise sur de larges étoffes à l’ombre d’un palmier, Débora, songeuse, écoute deux savants débattre d’une ligne d’Écriture. Son œil brille d’intérêt, et son esprit déjà saisit les nuances dont la finesse leur échappe. Une virile pudeur les retient de lui demander son avis, à elle, la femme ! Mais elle devine leurs hésitations, et d’un mot les aide à dérouler leur pensée. Tout le jour, ceux qui le désirent peuvent venir lui exposer leurs litiges, et elle répond avec intelligence ; aux rares qui, déçus par un oracle qu’ils refusent d’entendre, lui crachent le venin du dédain, elle répond d’une voix ardente : « Ne méprise pas celle qui sait de quelle main viendra la mort du Cananéen. » Tous, alors, se taisent, et aux ignorants qui, encore ! objecteraient sur sa prophétie, les Anciens rappellent que jamais Débora n’a connu l’erreur, et que de sa bouche ne coule que le miel de la vérité.


Pieuse femme que Débora ! Elle accomplit fidèlement ses devoirs auprès d’un époux trop épris pour tout comprendre, respecte chaque précepte, chaque rituel, et nul n’aurait pu trouver, jusque dans les ombres de l’enfance, la trace d’une seule mauvaiseté. On la regarde comme sainte, et chaque jour on la salue avec émotion, car sa simple présence devient bénédiction pour les justes qui l’approchent. Le soir, elle se rend au bain avec sa servante, et offre du jasmin aux enfants qu’elle croise sur sa route. Arrivée au bassin, elle soupire doucement, le regrette aussitôt. « Je vis pour la voie que Tu as tracée pour moi, ô Saint, Béni-Sois-Tu ! Que me soit pardonné ce soupir de lassitude, brève entorse à ma dévotion… ! » Et, trempant les mains et les pieds dans l’eau mêlée de fleurs, elle psalmodie avec tendresse.


Elle parfume sa chevelure, y accroche chaînes et anneaux d’or, délaisse son vêtement pour la robe d’épousée. Son chant s’amplifie, se colore d’une soie grave et chaude dont la richesse des profondeurs en forme les volutes moirées, et résonne maintenant jusqu’aux mondes subtils. De sa voix naissent des anges qui, dansant tout autour d’elle, l’élèvent jusqu’au canal des prophètes, et Débora, toute à son extase, continue de chanter. « Adonai ! Adonai ! ». Elle touche aux portes d’un monde que peu de clairvoyants peuvent se vanter d’avoir frôlé, et qui éveille dans son âme de puissants tourbillons d’amour. Sa vie, la nuit, se distend dans cette insoutenable lumière où les malakhim supérieurs lui murmurent, caressants, les mystères à révéler aux ignorants. Mais les faiblesses de son corps fatigué ternissent toujours  les merveilles des palais où elle pénètre, et elle revient à elle au petit matin le cœur gonflé d’une sereine mélancolie. « Je continuerai de chanter Tes mystères et Ta gloire, et un jour… ! je pénétrerai l’Atsilout, et je Te verrai, et Tu embrasseras Ta fille, ô Saint, Beni-Sois-Tu ! Et ce jour-là sera le plus heureux, car, enfin ! je serai morte… ! »



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Enfin, enfin, enfin… ! Enfin je peux publier ici cette série de photos, réalisée en mai dernier par la toujours si talentueuse Alexandra Banti, et enfin je peux en profiter pour illustrer cette musique que j’ai écoutée en boucle au printemps, et que je rêvais de lier à un délire orientalisant (pas cliché pour deux sous, mais par ici, on s’en fiche éperdument.) Tout est parti de cette coiffe superbe achetée sur un coup de tête en mars ou en avril, dont je peux maintenant montrer les rejetons. Franchement, je ne suis que joie ! 

La légende familiale veut que le prénom qui m’était originellement destiné fut Déborah, mais que mes parents changèrent d’avis le jour même de ma naissance. En est resté une grande tendresse pour ce prénom et pour sa légende : Débora, seule femme juge de tout l’Ancien Testament, prophétesse de surcroît, et chanteuse. Le chant antique préfigure tant la poésie que j’ai toujours imaginé en elle une sorte de pré-Béatrice guidant Dante, et puis j’ai toujours eu un faible pour les mystiques (tiens donc !). Bref, beaucoup de choses qui me tenaient à cœur ici.

L’un de mes fantasmes est réalisé, je suis à l’affiche du théâtre de la Renaissance : je peux mourir tranquille.

2 commentaires:

  1. Les printemps sont toujours mystiques, allez savoir. (Deux fois la Grèce, Perséphone, tout ça, néanmoins Dead Can Dance c’est toute l’année.) Je comprends qu’une telle coiffe appelait l’immortalisation, sinon par l’huile, au moins par la photographie ! On sent souvent dans tes textes se dégager certains archétypes de personnages, mais je suis ravie de constater que cela ne me lasse pas, bien au contraire. Je suis ainsi ton blog comme un recueil de nouvelles même si il me faut parfois revenir 10 posts en arrière pour l’annoter éhontément, à l’instar de mes livres en espagnol recouverts de traductions en pattes de mouches. Je comptais d’ailleurs commenter ledit blog aujourd’hui 10 posts à la fois et un email ma bonne dame, mais je n’ai pas tenu 10 minutes contre l’appel du vendredi noir & autres soldes sans rapport. (C’est un peu ta faute aussi car j'ai écouté du Dead Can Dance pour répondre en connaissance de cause et cela m’a redirigée vers une certaine robe Voriagh…)

    Encore une dont les pensées bouillonnent tant que toute sa vie de jour semble figée dans la torpeur. Pourtant, les rituels ne manquent pas, mais ils sont trop quotidiens, comme une sculpture d’une fontaine antique qui déversera son eau 1000 ans sans qu’on ait l’impression qu’elle apporte quelque chose à tout ça. Les liens qu’elles tisse avec l’Invisible concentrent l’essentiel de sa flamme de vie. C’est le fil conducteur que je vois à certains de tes textes. Que l’esprit de la dame soit bien tourné ou non, d’ailleurs.

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    1. Hum, les archétypes, ça a toujours été plus ou moins mon truc. Même ma fanfic Pokémon (écrite à 12 ans, il y a prescription maintenant, je peux en parler presque librement) s’appelait « La Prophétie des archétypes ». Ça craint ! Mais cela vaut surtout pour les textes courts, j’essaie de m’en libérer pour le reste. En tout cas, j’essaie. Et je compatis pour le manque de temps, mon cerveau est toujours bloqué au début du mois d’octobre et je ne sais pas ce qui est arrivé au mois et demi manquant. Je ne sais pas, je ne comprends pas, je n’ai le temps de rien. C’est terrible !

      Et je me retrouve en effet dans ton dernier paragraphe. C’est une sensation que je ressens souvent, en fait, avoir tant de bouillonnement (c'est un mot que j’utilise tellement souvent, en plus !) que l’action devient comme impossible, et que l’on devient une sorte de sommes de possibilités figées. L’écrire, c’est peut-être l’exorciser un peu.

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