vendredi 13 juin 2014

Inspirations ~ Undine(s)

Je croyais entendre
Une vague harmonie enchanter mon sommeil,
Et près de moi s’épandre un murmure pareil
Aux chants entrecoupés d’une voix triste et tendre.
Ch. Brugnot Les Deux Génies.


— « Écoute ! — Écoute ! — C’est moi, c’est Ondine qui
frôle de ces gouttes d’eau les losanges sonores de ta
fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune ;
et voici, en robe de moire, la dame châtelaine qui
contemple à son balcon la belle nuit étoilée et le beau
lac endormi.


Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant,
chaque courant est un sentier qui serpente vers mon palais,
et mon palais est bâti fluide, au fond du lac, dans le
triangle du feu, de la terre et de l'air.


—  Écoute ! — Écoute ! — Mon père bat l’eau coassante
d’une branche d’aulne verte, et mes soeurs caressent de
leurs bras d’écume les fraîches îles d’herbes,
de nénuphars et de glaïeuls, ou se moquent du saule caduc et
barbu qui pêche à la ligne. »

*
Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son
anneau à mon doigt pour être l’époux d’une Ondine, et
de visiter avec elle son palais pour être le roi des lacs.

Et comme je lui répondais que j’aimais une mortelle,
boudeuse et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa
un éclat de rire, et s’évanouit en giboulées
qui ruisselèrent blanches le long de mes vitraux bleus.


Aloysius Bertrand, Ondine. 

« Soon she was lost to sight in the Danube », Ondine de La Motte-Fouqué illustré par Arthur Rackham.
Épilogue aquatique à mon séjour breton, un léger article consacré à ma figure mythologique préférée. Naïade, Lorelei ou Roussalka, les filles de l’eau ont en commun leur voix enchanteresse, leurs longs cheveux, et leur dangereuse mélancolie qui font plonger l’homme dans les mystères troubles de leurs ondes. Tantôt fées tantôt diablesses, restes païens qu’on ne parvient pas à chasser du monde chrétien, on les respecte autant qu’on les craint, et on compose sur leur beauté en les fuyant du regard.

John William Waterhouse, Hylas et les Nymphes (1896)
Daniel Maclise, Une scène d’Ondine, 1843 (c’est ce tableau qui a servi pour la fameuse Forêt profonde de J&J).
(Du Ravel, évidemment. En même temps, les thèmes aquatiques se prêtent si bien à sa musique ! J’aurais pu choisir des dizaines d’autres morceaux, mais celui-ci est le plus « facile » par rapport au sujet. Et il se couple avec le poème de début d’article, dont il est inspiré… et il est superbe.)

John William Waterhouse, Ondine.

XXXIX

Voilà ce que chantait aux naïades prochaines
Ma Muse jeune et fraîche, amante des fontaines,
Assise au fond d’un antre aux nymphes consacré
D’acanthe et d’aubépine et de lierre entouré.
L’Amour, qui l’écoutait, caché dans le feuillage,
Sortit, la salua sirène du bocage.
Ses blonds cheveux flottant par lui furent pressés,
D’hyacinthe et de myrte, en couronne tressés :
« Car ta voix, lui dit-il, est douce à mon oreille
Comme le doux cytise à la mielleuse abeille. »

 André Chénier, extrait des Bucoliques.

(Photographies de Zena Holloway, série Angels, 2013.)



Toi, tu dois les aimer, les grands ciels de septembre,
Profonds, brûlants d’or vierge et trempés d’outremer.
Où dans leurs cheveux roux les naïades d’Henner
Tendent éperdument leur buste qui se cambre.

La saveur d'un fruit mûr et la chaleur de l’ambre
Vivent dans la souplesse et l’éclat de leur chair,
Et le désir de mordre est dans leur regard clair,
Dans l’étirement âpre et lassé de leur membre.

Leur prunelle verdâtre, où nagent assombris
Le reflet de la source et le bleu des iris,
A le calme accablant des lentes attirances.

On rêve des baisers qui seraient des souffrances,
Des hymens énervants et longs, les reins taris...
Ô nymphe, ô source antique aux froides transparences ! 

 Jean Lorrain, Les Nymphes. 
 
Frédéric lord Leighton, Crenaia la nymphe de la rivière Dargle, 1880.
(Très 19emiste tout ça. Mais enfin.)

11 commentaires:

  1. Peu à dire : c'est beau.

    J'aime l'ambiguïté des Naïades, si inspirantes, mystérieuses, elles ont quelque chose d'inexplicable.

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    1. Je suis tout à fait d'accord ! Le tableau de Waterhouse sur Hylas est parfait pour ce trait ambigu de leur caractère, avec cette impression de langueur et de danger qui s'en dégage.

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  2. Les créatures aquatiques, habitantes des eaux, sont mes grandes favorites. Je me souviens avoir lu Gaspard de la Nuit au lycée et ce poème là m'a profondément marqué. Dans un registre plus brut, j'aime beaucoup les selkies de la mythologie celtique. Toutefois, pour des raisons personnelles, je suis d'avantage attirée par les créatures "repoussantes" que celles qui sont considérées comme belles.

    C'était un article superbe, et voir toutes ces belles peintures est toujours un délice. J'aime beaucoup ces petites pages pleines d'inspiration.

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    1. Je suis ravie que cet article ait été à ton goût ! J'aime beaucoup aussi ces pages où plein de choses différentes se mêlent, généralement, sur les blogs que je suis, j'y découvre toujours de petites pépites.

      Je comprends ton attrait pour les créatures plus repoussantes, surtout pour ce qui touche l'eau, élément que l'on maîtrise très peu finalement, et qui a toujours été source de mythes teintés d'angoisse. Qui sait ce qui se cache dans les abysses ! C'est un miroir de l'âme humaine à ce niveau-là, également.

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  3. J'adore les naiades, elles m'ont toujours fait rêver et j'espère secretement un jour qu'il y aura une (belle) BD dessus ou un film sur cet univers. (Mais bon je reste une amoureuse des dryades et des arbres)

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    1. (Et puis... Waterhouse quoi)

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    2. Haha, je savais que le côté Waterhouse de cet article allait toucher ton cœur de fangirl.

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  4. Sais-tu si c'est via ces créatures qu'on a confondu les sirènes pourtant ailées de la mythologie grec ? Quel beau billet plein de culture, j'aime beaucoup ton écriture et tes références illustrés de nombreux médias ! :)

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    1. Apparemment, le terme de sirène s'attache surtout au caractère aquatique chantant et séducteur avant de s'attacher à la forme, qu'elle soit ailée, à queue de poisson ou totalement humaine. Il faudrait se pencher sur l'évolution du mot à travers les méandres de la fin de l'Antiquité et du début du Moyen Âge (le mot français étant apparu au XIe siècle), je suis sûre que ça serait fascinant !
      Merci pour ton commentaire ^^

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  5. J'ai récité le poème Ondine en français, en classe de 5ème. C'était mon préféré. J'ai eu la larme à l'oeil en le lisant à nouveau.

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    1. Je comprends qu'il t'émeuve de la sorte, je trouve qu'il a vraiment quelque chose de spécial. La poésie en prose me touche particulièrement, je trouve qu'il y a une sorte de simplicité qui prend plus au cœur.

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