samedi 20 février 2016

CCLXXXIX ~ Ärger

Depuis plusieurs semaines dormait dans mes brouillons un billet empli de vaine colère, billet qui devenait de plus en plus confus à mesure que ma colère grandissait. La cause initiale fut des plus banales, en fait ; apprenant la mort de ma publication japonaise préférée (adieu, Cutie ; tout a une fin), j’en profitai pour acheter le dernier numéro de Larme, magazine que j’avais laissé de côté depuis presque un an. L’idée était de le feuilleter tranquillement dans mon lit en écoutant un peu de Mozart et en buvant du bissap, de passer une soirée tranquille donc, mais j’en sortis plus amère que reposée. J’imagine que les engouements passionnés supposent de violentes déceptions, et si vous vous souvenez de ma joie lorsque je découvris les premiers numéros, vous devriez avoir une idée assez juste de mon actuel dégoût.
C’est mon éternelle naïveté, je crois, que d’espérer que de jeunes cultures alternatives puisse naître une force artistique suffisamment puissante pour marquer un tournant dans une époque qui n’a jamais été si malléable, mais je trouverais cela vraiment dramatique de me résigner à chaque jeune pousse en me disant « c’est féminin, centré sur le vêtement et la culture populaire, ça n’a aucun intérêt ». D’un autre côté, s’il me restait, par exemple, encore quelque espoir dans le lolita, il s’est à jamais volatilisé lorsque je tombai par hasard sur un questionnaire culturel qui demandait entre autres le nom du fournisseur de macarons du Marie-Antoinette de Coppola (sans rire). Les incursions de Disney dans ces univers-ci ne me laissent pas vraiment indifférente non plus : bienvenue dans des mouvements qui rejettent la tentaculaire culture de masse pour l’accueillir par la petite porte sans que cela ne semble ni choquer ni alerter qui que ce soit.
Qu’est donc devenue la vocation de Larme à être un artbook, pourtant revendiquée sur chaque couverture ? Exaspérée à chaque fois que je tournais une page, je fus définitivement écœurée après la dernière, après cet agrégat de photographies sans évolution d’une page à l’autre, ces listes de marques qui n’en finissent pas, ces éternels conseils de maquillage qui n’ont plus rien d’original et surtout, surtout, ces minauderies dont on ne parvient pas à sortir… Du creux, le néant ; l’univers féminin n’est pas prétexte à se grandir mais à rester enfermé dans cette complaisance qui ne bouscule ni ne crée. La lectrice de Larme n’est donc pas destinée à réfléchir mais à se languir, créature éthérée qui s’ennuie joliment avec ses semblables dans un univers un peu doux (mais avec un peu de poison quand même, car nous ne sommes pas des anges). La Belle Époque n’est pas loin, n’oublions pas qu’elle s’est achevée dans le sang et… les larmes.
J’ai désormais du mal à voir la scène alternative autrement que comme une halte-garderie de plus petite taille que celle dédiée à la masse. Une sage petite école maternelle où de sages petits groupes s’amusent dans leur coin, avec des jouets un peu différents – raison suffisante pour se croire au-dessus des autres, j’imagine. Pourtant chacun sait, alors que le monde va si mal (lieu commun de l’humanité depuis qu’elle est consciente d’elle-même), qu’un changement pourra difficilement venir de ce qui nous domine aujourd’hui. Dans le monde des arts, cela tient, il me semble, à la fois d’un confortable passéisme et d’un nombrilisme à vomir. Nous n’avons pas réussi à dépasser le malaise expressionniste, et nous passons des heures à nous disséquer, à nous esbaudir devant chaque petite particularité de notre psyché. Dans un monde qui va si mal, la réponse apportée par ce que j’aurais voulu être une nouvelle avant-garde, c’est de chercher le meilleur décor pour sa psyché rêvée. Aesthetics. Pourquoi pas, après tout je suis la première (façon de parler, évidemment) à parler de l’ambiance, à chercher la synesthésie. Mais ici l’esthète subit plus qu’il n’agit, et il devient tristement aisé de faire le parallèle entre des cultures qui se veulent alternatives et le reste du monde comme il va. Les têtes pensantes des mouvements alternatifs dans lesquels j’ai placé tant d’ardeur sont entravées par une logique de consommation typique de l’époque. Quant à leurs muses, elles sont trop occupées à faire de la publicité pour elles-mêmes et pour les autres pour que leur popularité ait vocation à allumer une étincelle de réflexion dans le cerveau de celles qui les admirent. D’où les multiples passerelles entre la culture dominante et les autres… Quand le souffle du génie créatif demeure impuissant, le génie commercial n’a plus qu’à s’engouffrer dans la brèche.
La culture française est morte, mais pas enterrée. J’ai toujours eu foi en sa grandeur, même et surtout maintenant que plusieurs générations lui ont craché dessus et tourné le dos. C’est aussi pour cela que je trouve cela dommage de se contenter d’alternatives japonaises prémâchées (pour ne pas parler des anglo-saxonnes…), alors que nous avons tant de possibilités, à la lumière de notre histoire et de notre art, d’en tirer quelque chose de neuf et de brillant. D’autant que, triste ironie, la plupart de ces alternatives sont elles-mêmes inspirées du mythe de la Française, sinon de la Parisienne. Je rêve d’une muse forte et mystérieuse, engagée et onirique, esprit libre et poétesse, qui de sa plume créera le monde et qui de son envol l’entraînera à sa suite. Si je savais comment me battre pour elle, si moi-même je ne me sentais pas complètement entravée, ma colère ne serait sans doute pas aussi vaine, ni mes billets si répétitifs. L’alarme contre la paresse et l’immobilisme créatifs, c’est une litanie par ici… J’espère simplement que ces petits efforts, ces petits pas de fourmis finiront par payer. J’ai faim de liberté.

10 commentaires:

  1. Cette manière d'écrire... je pense que tu peux être l'une de ces muses.
    Tu l'es déjà pour certaines personnes et j'ai également foi.
    Comme "l'âme mondiale" de Mucha, j'y crois.

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    1. Tu es toujours si encourageante dans tes commentaires, ça me touche à chaque fois. Je ne sais pas vraiment si j’en ai la carrure, mais ce qui est sûr, c'est que plutôt que de se plaindre, il est plus constructif d'essayer d’achever la besogne soi-même…

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  2. Cette litanie murmure dans le creux de l'oreille ce que le cœur s'efforce de taire....malgré la colère, l'aigreur, et parfois (souvent) une forme de souffrance qui en résulte, j'ai la sensation de me laisser faire n'ayant qu'une surface lisse dans le monde réel, sans aucune aspérité sur laquelle m'agripper...Je n'ai ni montagnes à franchir, ni paysages vallonnés dans lequel m'évader...alors coupé du monde, je me laisse entièrement absorbée dans une mélasse insipide, tristement influencée par des courants alternatifs...lesquels s'agitent à travers l'écran, sans jamais en jaillir pour m'abreuver. Pour autant j'ai trouvé ma source (ici), et c'est terriblement réconfortant de te lire lorsque tu t'exprimes ainsi (la forme primerait presque sur le fond tant tu t'exprimes avec perfection). Je voulais te remercier d'ailleurs pour ta réponse concernant un très vieux commentaire, je ne suis pas très douée pour écrire les miennes aha J'ai pensé à toi récemment en souvenir d'une animation culte que je garderais en mémoire (et sur ma peau) ad vitam æternam: Memories de Katsuhiro Otomo (je voue littéralement un culte au champ lexical du souvenir aha). C'est un film scindé en trois parties distinctes, mais c'est le premier qui a remué mes tripes (Magnetic Rose) notamment à travers le personnage de la Diva, que tu incarnerais parfaitement j'en suis persuadée. Je t'imagine mimer les poses de cette femme lorsqu'elle chante de l'opéra, de longues mèches de cheveux s'agitant avec la même violence que tes cordes vocales, lesquelles encadreraient une partie de ton visage et y jetteraient une ombre, le regard plongé dans une terrible mélancolie mais dénuée de regrets, comme une iris composée de peu de pigments (une surface clair mais des eaux profondes) mais bordée d'une nuance plus foncée qui symboliserait la violence de la passion et la force qu'elle confère aux êtres...(phrase à rallonge quand tu nous tiens !). Cette image apparaît sous forme de gif dans mon esprits et se calque sur celle de la Diva dans l'anime depuis plusieurs semaines déjà (et je me sentais un peu bête de la décrire ici aha Quand on est animé par de forte pulsion/passion c'est assez enivrant, mais quand il s'agit de les dépeindre sous une autre forme que les sensations qu'elles génèrent, ça devient de suite plus ardu). Merci d'avoir étanché ma soif !

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    1. Je te comprends, il est souvent dur de répondre sur des choses qui nous touchent (et c’est sans doute pour cela que je vais avoir du mal à te répondre, je crois !). Je crois que nous le faisons tous, parfois ou souvent, ce geste de nous noyer mentalement pour oublier ce qui nous abat lentement. Des générations avant nous l’ont fait, il en sera sans doute de même après… C’est compliqué, de résister, parce que nul ne nous apprend comment nous y prendre, ni ne nous y encourage vraiment. Ce qui est effroyable, lorsqu’on lit des témoignages de personnes qui se sont dressées contre leur époque, c’est la profonde solitude qui en ressort. Mais enfin… Les temps changent malgré tout…
      En tout cas je suis curieuse à présent, et je note Memories sur ma liste de films à regarder. Merci d’avoir pris le temps de me lire, et de m’écrire.

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  3. Si tu es la première, je suis la seconde. Depuis que j'ai l'âge de voyager seule, je suis en quête d'harmonie et d'univers.
    Pour me consoler, je me remémore les paroles du chat du Cheshire:

    "-Voudriez-vous me dire, s'il vous plaît, par où je dois m'en aller d'ici ?
    -Cela dépend beaucoup de l'endroit où tu veux aller.
    -Peu importe l'endroit...
    -En ce cas, peu importe la route que tu prendras.
    -... pourvu que j'arrive quelque part », ajouta Alice en guise d'explication.
    -Oh, tu ne manqueras pas d'arriver quelque part, si tu marches assez longtemps."

    Ces petits pas de fourmis dont tu parles, j'ai envie d'y croire.
    La tortue avance pas à pas jusqu'au bout du chemin.
    Le lièvre, pensant être arrivé, n'aura vu le paradis que depuis les grilles.

    La liberté est là à chaque souffle, à chaque instant. Elle n'est pas gargantuesque. Elle est petite, elle est discrète, mais elle est appréciable.
    Elle est proportionnelle au jour qui s'offre à toi.

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    1. S’il faut marcher, nous marcherons ! Comme tu dis, il faut apprécier chaque parcelle de liberté. À vouloir se rassasier trop vite, on en tomberait malade… Même si, parfois, imaginer le festin nous fait oublier la réalité !

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  4. Je te remercie encore pour cet article-carburant.
    Oh ! Tu as vu le dernier commentaire sur l'article macaronné (poil aux) que tu as mis en lien ? Now *that's* someone after my own heart.

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    1. Je suis toujours prête à donner un peu de ma personne pour du journalisme total d’une telle qualité.
      Et j’ai vu, oui ! Le journalisme total n’a pas de frontières.

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  5. Hana, chaque fois que je viens sur ton blog, je suis emportée par ta soif passionnée d'idéaux. Ta manière d'écrire ne doit laisser personne indifférent. En tout cas, je ne le suis pas et j'admire cette étincelle à la fois volontaire et révoltée que tu transmets !

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    1. Merci beaucoup, ton commentaire me touche vraiment beaucoup. J’espère que l’étincelle donnera quelque chose de constructif, en tout cas, un jour…

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