lundi 29 février 2016

CCXCII ~ Tu me crois la marée et je suis le déluge.

Ô flot, c’est bien. Descends maintenant. Il le faut.
Jamais ton flux encor n’était monté si haut.

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J’ai enfin acheté le Dit, et j’ai même eu un peu de temps pour le commencer.

Coucou.
« […] et comme, toujours baigné de larmes, il passait de la sorte ses jours et ses nuits, pour ceux-là même qui le voyaient ainsi, ce fut un automne aux rosées abondantes. » : j’en aurai donc pour près de 1 400 pages de cette poésie qui fait la grâce et la lourdeur de l’ère Heian, de cette recherche perpétuelle de la beauté qui écœure au point de donner, parfois, le besoin de trouver un peu de réconfort dans des pensées sordides. Je le lis lentement, pour le moment, car j’ai plus besoin de délicatesse que de dégoût – toujours cette colère… Quand je vois dans le Genji à quel point la mort par affection des nerfs paraît fréquente, je me demande comment je fais pour être encore en vie : je manque de raffinement, sans doute ; je n’ai pas le bon goût d’incarner mon personnage jusqu’au bout.

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Mais pourquoi donc es-tu si sombre et si farouche ?
Pourquoi ton gouffre a-t-il un cri comme une bouche ?
Pourquoi cette pluie âpre, et cette ombre, et ces bruits,
Et ce vent noir soufflant dans le clairon des nuits ?
Ta vague monte avec la rumeur d'un prodige
C’est ici ta limite. Arrête-toi, te dis-je.

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J’ai repris mes mauvaises habitudes, c’est-à-dire la dispersion, surtout dans la lecture ; j’ai trop d’ouvrages en cours, mais j’aurai pu profiter de cette fin de semaine pour en finir quelques-uns : la victoire est proche (y croire est important). Néanmoins, je réussis à garder le cap pour d’autres choses, comme pour le latin que j’ai repris en début d’année et où je me montre plutôt assidue (je peux écrire des choses comme « La colombe vole vers le laurier touffu »*, qu’attendre encore de l’existence après cela ?), ou encore ce projet de bijou complexe dont j’ai fini le croquis et que je pourrai commencer dès le beau mois de mars qui commence demain (douce idée !). J’ai regardé de jolis films d’animation russes aussi, dont la superbe Rusalka d’Aleksandr Petrov (merci Tumblr), court-métrage muet de dix minutes à la peinture sur verre.

(Cette merveille peut se trouver sur Youtube.)
*Columba ad densam laurum volat.

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Les vieilles lois, les vieux obstacles, les vieux freins,
Ignorance, misère et néant, souterrains
Où meurt le fol espoir, bagnes profonds de l’âme,
L'ancienne autorité de l'homme sur la femme,
Le grand banquet, muré pour les déshérités,
Les superstitions et les fatalités,
N’y touche pas, va-t’en ; ce sont les choses saintes.
Redescends, et tais-toi ! j’ai construit ces enceintes
Autour du genre humain et j’ai bâti ces tours. 

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Je suis donc rentrée de Monaco cette nuit, je pense que j’aurai bientôt plus longuement l’occasion de parler du travail fabuleux auquel ma petite carcasse a aidé à donner un corps pendant deux jours (et à nouveau demain, ce à quoi j’ai du mal à croire du fond de mon lit). L’autre événement de ces derniers jours aura donc été ma brève escapade en bord de mer, tout ça pour finir trempée après un coup de vent un peu plus violent que les autres… mais je ne regrette rien. Je n’avais que peu de temps pour visiter la ville, j’ai juste aperçu de dos le musée Océanographique, construit à flanc de rocher, qui me donne envie de placer ma chambre dans une orientation similaire pour pouvoir me réveiller, travailler, vivre en permanence face aux vagues.


L’architecture de Monaco est vraiment curieuse, et sans doute typique de ces villes qui ont vu leur densité exploser en peu de temps. On zigzague entre les villas Belle Époque et les tours des années 60/70, qui défigurent le paysage montagneux sans pour autant tout lui ôter de son charme. La ville paraît complètement artificielle, alors que son histoire est riche de plusieurs siècles… En tout cas, je ne m’y sens pas vraiment à l’aise. Une incompatibilité de caractères, sans doute.

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Mais tu rugis toujours ! mais tu montes toujours !
Tout s’en va pêle-mêle à ton choc frénétique.
Voici le vieux missel, voici le code antique.
L’échafaud dans un pli de ta vague a passé.
Ne touche pas au roi ! ciel ! il est renversé.
Et ces hommes sacrés ! je les vois disparaître.
Arrête ! c’est le juge. Arrête ! c’est le prêtre.
Dieu t’a dit : Ne va pas plus loin, ô flot amer !
Mais quoi ! tu m’engloutis ! au secours, Dieu ! la mer
Désobéit ! la mer envahit mon refuge !

Le Flot : 
Tu me crois la marée et je suis le déluge.

Victor Hugo, Dans l’ombre.

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