dimanche 14 août 2016

CCCXXII ~ Un film, une complainte et des tournesols.

Sedmikrasky (1966)

Hier soir, après une journée d’errance dans un Paris désert, j’ai regardé un film qui se trouvait sur ma liste de films à voir absolument depuis très longtemps, Sedmikrasky, soit Les Petites Marguerites. Long-métrage tchèque de 1966, il raconte les tribulations de deux jeunes femmes qui décident de mener une vie déréglée en réaction à un monde qu’elles jugent mauvais et qu’elles ne comprennent plus, sans nécessairement y trouver leur bonheur, ni une fin heureuse… La narration, plutôt absurde et décousue, m’a plu sur le moment, mais ce n’est qu’après une nuit plutôt mauvaise que j’ai réalisé que j’avais beaucoup aimé ce film.


Deux ans avant le printemps de Prague, dédié « à ceux dont la seule source d’indignation est une vie dissolue », Sedmikrasky apparaît comme un manifeste – sa diffusion a d’ailleurs été interdite dès sa sortie – délicatement ourlé de la finesse de réalisation qui semble propre au cinéma tchèque, et où la recherche esthétique ne laisse jamais de côté le fond du propos. Je souhaite vraiment continuer à découvrir cette page du cinéma européen, malgré la difficulté parfois de se procurer ou même de trouver sur Internet certaines de ces œuvres.

~~~ 

Je me sens quelque peu frustrée en ce moment de ne pouvoir écrire selon mon bon plaisir aussi souvent que je le voudrais, ici ou ailleurs, mais en même temps que les préparatifs de mon voyage en Crète, j’essaie de trier mes dernières photographies de Corée et du Japon et de rédiger quelques billets dessus, sauf que j’ai un mal fou à me replonger dans mon état d’esprit de mai et que la rédaction se fait laborieusement. Malgré tout j’aimerais vraiment les achever avant de m’envoler en Grèce, parce que j’en ai assez de ma propension à laisser les choses traîner. Je suis d’ailleurs au désespoir pour ce projet de collier que je mûris depuis février et dont les premiers assemblages traînent dans un tiroir en attendant d’être reliés, car le sort s’applique parfois à me compliquer les choses : la Poste perd minutieusement toutes mes fournitures (sérieusement, ce que j’ai acheté en mars ne m’est arrivé qu’en juin, et je n’ai toujours pas reçu mes commandes passées en juin). Cela m’inquiète car j’avais prévu une mise en scène estivale pour vous le présenter, et une fois que la lumière se rapprochera de l’automne, je n’aurai plus qu’à ronger mon frein en attendant l’année prochaine. Quelle ironie pour ce que je voulais être mon premier travail à la réalisation suivie et bien organisée ! Je prends cela pour une leçon de fatalité, mais je ne la reçois pas vraiment avec entrain.
En attendant, pour ne pas finir complètement chèvre, je travaille sur d’autres choses ; un petit bijou de tête que j’ai fini le mois dernier et que j’espère vous présenter dans le courant du mois prochain, et surtout des babioles pour décorer mon appartement – maintenant que j’habite chez moi, je ne vais pas m’en priver. Je relis rêveusement ma petite anthologie de textes rédigés par William Morris et rêve d’un art total, où la littérature, la photographie rejoindraient l’artisanat. À vrai dire, ces lectures et ces pensées ne sont pas tout à fait innocentes, mais j’en ai assez de parler de choses dont je repousse la réalisation, alors je vous en parlerai une fois que j’aurai mis le pied à l’étrier.
Ce gloubi-boulga dont je dessine plus que vaguement les contours est né de nouvelles colères mal refoulées (pour changer), la dernière en date étant un concert auquel j’ai assisté en Gascogne ; un récital de piano dont je tairai le nom de l’interprète car c’est tout ce qu’il mérite pour avoir massacré consciencieusement pendant deux heures Chopin, Bach, Ravel et Debussy en les jouant comme s’il avait non pas un mais deux trains à prendre avec une correspondance un peu serrée. Ce spectacle m’a tellement donné mal au cœur que j’ai longtemps cru que j’allais en vomir et que j’ai dû faire un effort surhumain pour contrôler chacun de mes muscles. Cet homme, apparemment, a confondu virtuosité et rapidité, ne laissant jamais le temps de profiter d’une légère dissonance, d’un contre-temps, non : il fallait que ses doigts s’agitassent en permanence pour captiver l’audience. Rien à redire sur sa technique, bien au contraire, mais il ôtait tout sentiment à ce qu’il jouait – et je crois d’ailleurs que c’est cet aspect presque mécanique dans l’exécution qui a failli me rendre malade. Où étaient passés le drame intérieur de Chopin ? L’opulence toute mesurée de Bach ? Les cristallines variations de rythme de Ravel, le caractère contemplatif de Debussy ? Je fus un peu rassurée en entendant un couple de Britanniques s’offusquer un peu plus loin devant moi pour très mollement applaudir ensuite : le stratagème n’avait pas opéré sur tout le monde. Je me demande sincèrement ce qui passe par la tête d’un artiste qui ne comprend pas l’importance d’une ambiance, qui ne la prépare pas, qui ne joue pas avec (quitte à la détruire complètement pas la suite), surtout dans un domaine aussi complexe que la musique. C’est à cause de cela que (sacrilège !) on finit par jouer Bach exactement comme l’on joue Chopin. Si le sujet vous intéresse, je vous recommande vivement la lecture du Discours Musical de Harnoncourt, qui explique bien mieux que je ne pourrai jamais le faire comment le XIXe siècle et ses successeurs, dans une bonne intention de faire revivre le baroque, ne cessent d’en tuer toutes les finesses.
On m’a très souvent reproché de n’être que cérébrale, alors que la première chose que je recherche dans l’art (qui, comme vous devez commencer à vous en douter, n’occupe pas du tout une place importante dans ma vie) est la sensation. Quand je lis, que je vois, que j’écoute, je veux être amusée, émue, bouleversée, heureuse, dévastée. Et créer pareille chose n’est pas simple. Disons que tout artiste est une danseuse : ses pieds sont en sang, mais il exécute ses pirouettes avec le sourire, et ne voudrait changer de vie pour rien au monde. Flaubert a commencé sa Tentation en 1835. Il l’a publiée en 1874. 40 ans de travail, de frustration, et de plaisir. Et il ne l’a certainement pas écrite pour qu’un comédien lambda lise son roman rapidement afin de montrer son talent d’articulation à un public esbaudi.
L’artiste doit arrêter de se montrer égoïste et autocentré.

~~~

Si vous êtes arrivés jusqu’ici, vous avez bien mérité un peu de repos. Je remercie encore ma très chère amie Nokturnal pour cette découverte.


~~~

Et je suis donc rentrée il y a une semaine de dix jours passés en Gascogne, et plus spécialement dans le Gers. De ces dix jours, il ne me restera sans doute bientôt en tête qu’une masse de champs de tournesols, un peu indistincte, où percent quelques villages de pierre. Tournecoupe, Serempuy, Avezan, Montesquiou, Lectoure ou encore Homps – dont le nom, je l’avoue, m’a bien fait rire – se mélangent déjà dans mon esprit au gré des routes sublimes sillonnées au bras de mon Poète, enfant du pays. Près de 1500 kilomètres avalés en dix jours : c’est trop pour la mémoire d’une toute jeune initiée. Côtes et lacets dévorés de soleil, où nous nous arrêtions pour admirer le vol d’une buse, un joli mur-clocher, un lavoir abandonné, qui font des villages même les plus reculés des lieux fascinants à visiter : le Gers est un désert fleuri d’or et de jaune où se dressent toujours les fiers châteaux des seigneurs gascons, et la folie urbaine moderne laisse encore relativement intactes les terres qu’ils foulèrent jadis. Il m’est impossible de conter d’une traite cette succession de points de vue sauvages et escarpés, place donc à deux photographies un peu floues qui résument tout très bien.

 (Cherchons donc l’image saisie à midi et l’autre à 17 heures…)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Transparent White Star