lundi 15 août 2016

CCCXXIV ~ [花 の ダイアリー ! Le journal de Hana au Japon 3e du nom] Un peu de Kyūshū.

Retour à Fukuoka.
Encore une journée quelque peu éprouvante que celle de mon retour au Japon, car, boudiou ! j’avais toujours terriblement mal aux pieds, et après les trois heures de train menant à Busan je faillis rater mon bateau pour m’être endormie dans la salle d’embarquement (le personnel du ferry avait déjà enlevé la passerelle quand je me suis réveillée, je ne vous raconte pas la panique – panique prophétique, du reste). À peine arrivée à l’hôtel, je me suis couchée pour dormir d’un long sommeil réparateur, et bien m’en prit, car je me réveillai toute fraîche le lendemain matin pour découvrir Kyūshū.

Comme pour Hokkaidō, je me sentais extatique à l’idée de visiter une île du Japon où je n’avais encore jamais posé le pied, et qui n’était pas souillée par la pollution du souvenir. Kyūshū possède un climat qualifié de subtropical, et c’était là encore source d’émerveillement : visiter pareil environnement était pour moi une première ! Même si, au mois de mai, l’atmosphère n’avait rien de bien exotique, et faisait un peu penser à celle que l’on trouve au bord de la Méditerranée, l’été.
Avant même de visiter Fukuoka, dont l’aperçu ne me charmait pas vraiment, je suis partie à Nagasaki qui, pour le coup, était une ville que je rêvais de voir depuis très longtemps. Sans provoquer chez moi un bouleversement aussi violent que celui que j’avais ressenti à Hiroshima, je m’y suis promenée avec beaucoup de plaisir, et toujours ce serrement de cœur qui accompagne la concrétisation d’un rêve.

Je vous avais déjà parlé ici de la superbe exposition Mucha à laquelle j’avais eu la chance de me rendre, voici maintenant quelques images de la ville. 


L’empreinte de l’Occident est visible ici, dans la forme des maisons, du tracé des ruelles… Nagasaki est avant tout un port, et Portugais, Britanniques, Hollandais et Français s’y sont succédé, certains pour le commerce, d’autres pour l’évangélisation. La cuisine n’est pas exempte de cette présence étrangère puisque c’est ici que l’on peut goûter aux fameux castellas, génoises d’origine portugaise que l’on trouve partout, simples, fourrées, glacées, bref.

Par exemple.
Notons aussi une forte présence chinoise, avec un tout petit Chinatown et quelques monuments typiques.

Tout petit Chinatown.
Détail du portique mal cadré à cause du soleil qui tombait en plein dessus… (Non, je ne me cherche pas d’excuse.)
Je me suis un peu promenée le long d’une rue en pente douce, désignée sous le nom de Dutch Slope, avec une très jolie vue sur les collines. Un lycée y fait face à une université pour jeunes filles et à part quelques-unes d’entre elles qui sortaient de classe, je n’ai croisé personne. La ville était silencieuse, endormie : il était quinze heures, et il faisait chaud. J’achetai toutes les boissons à la pêche que je pouvais trouver. La vie semble plus douce lorsque l’on est de passage, et pourtant j’aurais voulu rester là toujours.
Enfin, ma marche rêveuse finit par me mener à l’un des monuments que je voulais absolument voir, l’église catholique d’Oura, consacrée aux vingt-six martyrs de la ville, de style colonial assez classique.

Des palmiers !
Et saint Jean-Paul II, qui a décidément été partout.
Les vitraux sont sans intérêt, le chemin de croix est d’un joli style pompier plutôt insignifiant sans être désagréable, bref, une église XIXe. En face du buste de l’ancien pape, une petite boutique vendait des images saintes venues d’Europe (surtout d’Italie) et de petits objets fabriqués par les sœurs du couvent, comme des marque-pages figurant la Sainte Vierge… en kimono.

La visite de l’exposition m’ayant bien occupée à mon arrivée, il ne me restait que le temps de faire une dernière promenade avant d’attraper le train de 18 heures (j’avais bon espoir de visiter un peu Fukuoka la nuit). Je me suis naturellement dirigée vers le mémorial de la bombe atomique. Un parc abrite divers monuments commémoratifs, dont une statue de la Paix, qui figure un homme assis, l’index levé vers le ciel, comme pour montrer d’où vint le fléau. (La seule image que j’ai prise de lui étant complètement cramée, pas de statue de la Paix ici. J’ai horreur de mitrailler dans des lieux solennels, ou de gâcher mes émotions en me sentant obligée de sortir l’appareil, donc je fais généralement une prise, ou rien, et basta.) Plusieurs autres statues bordent l’allée du parc, chacune envoyée par un pays différent pour célébrer le repos et la paix.

Une image rescapée, avec les fontaines du jardin.
En descendant deux escaliers, on arrive à l’épicentre de l’explosion. Un sobre monolithe indique l’endroit où la bombe fut lâchée pour exploser cinq cents mètres au-dessus de la ville.


Tout fut détruit et/ou brûlé, et plus de 70 000 personnes périrent instantanément, sans compter, donc, les blessés, les irradiés. Le 9 août 1945 ne restaient que quelques ruines, et le monolithe fut installé à l’endroit où un gros tronçon de bois trônait encore au milieu des décombres. Autour, un jeu de dalles et de gazon forme des cercles concentriques pour représenter l’onde de choc. Sobre, émouvant.
C’est amusant, car les deux villes ne se ressemblent guère, mais la même atmosphère apaisée règne sur Hiroshima et Nagasaki. Comme si avoir subi pareil fléau obligeait à la sérénité pour ne pas complètement sombrer. Depuis mon voyage, j’ai acheté des recueils de poèmes et de témoignages que je voulais lire au début du mois d’août, mais je n’ai pas encore osé les commencer. Je ne sais pas du tout pourquoi, parmi toutes les atrocités qui jaillirent de la cruauté humaine, et certaines plus proches de moi, ce sont vraiment ces deux dates, 6 et 9 août 1945, qui me touchent le plus. La nuit, parfois, j’en cauchemarde. Au lycée, notre professeur d’histoire anglo-saxonne (c’était l’une de mes options au bac) nous avait fait reproduire la discussion houleuse qui eut lieu au congrès américain pour débattre du largage de la bombe. Le hasard m’avait placée parmi le seul groupe d’opposants, avec deux bons amis, et quand le « oui » l’avait emporté, suivant la marche de l’histoire, nous étions sortis de classe pour ne pas que les autres nous vissent pleurer. Lorsque nous sommes revenus, notre professeur, qui avait tout deviné, nous lança d’un air sévère : « Et encore, vous n’avez pas eu à le vivre, vous. ».
Et c’est vrai. Nous n’avons rien vécu de tout cela. Nous pouvons juste nous le représenter, vaguement. En cauchemarder la nuit, dans le pire des cas. Peut-être est-ce de là aussi que vient ma rage contre mon siècle d’enfants gâtés. Je ne sais pas. 

Toutes ces réflexions, et d’autres encore que je me faisais dans le train du retour, m’ont donné un regard étonné sur tout ce que je vis à Fukuoka dans la soirée. Je me baladais dans une zone commerciale, échouai dans l’un de ces fameux Village Vanguard, à feuilleter tout et rien. J’entendais les gens rire, plaisanter, je les voyais boire et manger dans les échoppes qui jonchaient les rues. Les néons, là encore, illuminaient la nuit. L’atmosphère respirait le bonheur simple, et je me sentais heureuse. Et pourtant… Assise face à une très belle jeune femme dans le métro, habillée avec raffinement, le malaise me reprit. Ses manières outrées, les petits plis autour de sa bouche pincée lui ôtaient toute élégance, et me donnèrent l’impression que derrière toute jolie façade la pourriture ronge. Nulle vaine colère pourtant, cette fois-ci, mais la curieuse certitude qu’en ces années dix, tout l’esprit petit-bourgeois hérité du XIXe (encore lui) ne ferait pas long feu.

~~~ 

Je mis un peu de temps à me lever le lendemain matin car, exception dans mon voyage, je n’avais absolument rien prévu pour la journée. Je finis par me décider pour un petit tour dans la ville de Yufuin, pour deux raisons : elle portait le nom de mon personnage préféré dans Boueibu (even I can be trash sometimes) mais, surtout, il était précisé dans mon guide « Ville thermale encore épargnée par le tourisme ». Enfin !
Mais avant cela, je suis allée prier ma divinité préférée du panthéon shintoïste, le poète Sugawara no Michizane, vénéré sous le nom de Tenjin. Membre de la cour de l’empereur au début du Xe siècle où il jouissait d’un très grand respect pour son savoir et son talent, il tomba brusquement en disgrâce et se fit exiler. Après sa mort, de nombreuses catastrophes apparurent. Épidémies, mort mystérieuse des fils de l’empereur, sécheresse, orages diluviens accompagnés de foudre, rien ne semblait épargner la capitale. Les devins attribuèrent ces châtiments à l’âme courroucée du poète, et, afin de l’apaiser… le divinisèrent. Une fois le rite passé, tout redevint calme. Depuis, Tenjin est devenu le dieu des étudiants, des artistes et des érudits (tout ceci condensé dans l’expression « la voie du travail »).
Un grand sanctuaire lui est dédié dans une vile proche de Fukuoka, à laquelle on accède après une quarantaine de minutes de train. Il n’était que onze heures du matin, mais déjà, que de monde ! (Les groupes de touristes chinois, encore eux.)

Ma seule photo non gâchée par les perches à selfies.
J’ai acheté une amulette de protection, et quelle amulette ! Pas de bête chance en amour, de bonne santé tombée du ciel, non : « Les efforts fournis avec sincérité et assiduité seront récompensés ». Tenjin n’aime pas les paresseux… J’ai tiré un oracle, également, verdict sans appel : aucune chance. À différencier, cependant, de malchance : cela veut simplement dire ni coup de pouce ni acharnement du destin. J’ai beaucoup ri en le déchiffrant, tant cela s’accordait à merveille avec l’esprit de mon amulette ; agis avant de penser au deus ex machina.
En sortant de l’enceinte du sanctuaire, cri de joie : enfin un stand qui vendait de la nourriture végétarienne, des boulettes de tofu aux légumes ou aux champignons ! Enfin je pouvais moi aussi me promener avec ma brochette, et cela m’a mise en joie. J’ai aussi acheté une pêche à une lolita vêtue de Mary Magdalene qui vendait des fruits, et des dango (j’aime tellement les dango).

J’ai, ensuite, failli rater mon train pour Yufuin (montée dedans à 14 h 35, partie à 14 h 36 – encore une fois presque prophétique, je vous rappelle que j’ai raté mon vol retour pour Paris…)

L’ironie.
Bref, j’étais dans le train. Et là, extase. Majesté des forêts, puissance de l’eau ! Le petit train rouge et rutilant, complètement vide (le contrôleur m’a demandé plusieurs fois si je ne m’étais pas trompée de destination) passait par des endroits incroyables qui me firent réaliser que oui, le climat de Kyūshū était bien subtropical. Les trois wagons partaient à l’assaut des collines et des torrents, cœur mécanique ronflant dans un poumon de verdure plus que touffue, où souvent la lumière crue du soleil ne touchait pas le sol. Nous passions à toute vitesse par des ponts étroits où la balustrade ne se voyait même pas de la fenêtre, et qui donnaient l’impression d’être suspendu dans le vide au-dessus des cours d’eau et des vallées. J’étais complètement subjuguée.
Puis, les rizières, et la petite gare de Yufuin.


Rien que de petites maisons, des champs, une rivière, le glou-glou des sources chaudes souterraines, et les montagnes, dont un volcan surnommé le Fuji d’Oita-ken (le nom du district où se trouve Yufuin). Les haies étaient recouvertes de toiles d’araignée, et de grands rapaces volaient dans le ciel. Pour la première fois de ma vie, je voyais des aigles en liberté. Seule présence humaine croisée, si l’on excepte les enfants à vélo ou jouant dans les jardins de leur maison, les rares touristes chinois (encore eux) dans la petite boutique de souvenirs de la ville (où j’achetai un excellent miel).


Pour une fois, je vous présente des images sans face cachée ; ici, pas de préfabriqués moches, pas d’hôtels dortoirs, juste un petit village de campagne.

La Lune qui se lève.

Cette journée est vraiment celle dont je garde le souvenir le plus pénétrant, plusieurs mois après. Si je retourne au Japon, ce qui semble vraisemblable, j’aimerais vraiment consacrer plus de temps à Kyūshū, car le peu que j’en ai vu a complètement conquis mon cœur.

6 commentaires:

  1. À chaque fois que je te lis, une délicieuse sérénité et une incompréhensible nostalgie m'envahissent.

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  2. oh mon dieu, c'est tellement beau *_*
    Moi aussi ça me rend tellement nostalgique, sérieusement, on aurait presque les larmes aux yeux T_T

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    1. C’est terrible, plus on y pense, et plus on veut y retourner.

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  3. Tes voyages ont quelque chose de contemplatif et, oui, je dirais aussi "nostalgique". Alors même que je n'ai jamais posé pied sur l'archipel nippon ! Le petit oracle que tu avais tiré te correspond bien, je trouve. Comme une feuille de nénuphar, tu laisse couleur l'eau en-dessous de toi et recueille celle qui tombe pour mieux l'évacuer. Tes voyages sont résumés en instantanés de mots. Simple comme une goutte, enveloppante comme la pluie :)

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    1. Ce que tu écris là me touche vraiment, merci beaucoup !

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